La Cour Electorale Spéciale,

             Vu la Constitution ;           

              Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

 Vu la loi organique n°2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral ;

         Vu la loi organique n°2012-015 du 1er août 2012 relative à l’élection du premier Président de la quatrième République ;  

 Vu la loi organique n°2012-016 du 1er août 2012 relative aux premières élections législatives de la quatrième République ;                    

              Vu la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011 portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de route ;

             Vu la loi n°2012-014 du 26 juillet 2012 portant création d’une chambre spéciale dénommée Cour Electorale Spéciale au sein de la Haute Cour Constitutionnelle  modifiée et complétée par la loi n°2013-008 du 1er août 2013 ;

             Vu le décret n°2013-155 du 12 mars 2013 fixant les conditions d’application de la loi organique n°2012-016 du 1er août 2012 relative aux premières élections législatives de la quatrième République ;

 Vu le décret n° 2013-340 du 15 mai 2013 modifiant certaines dispositions du décret n°2013-155 du 12 mars 2013 fixant les conditions d’application de la loi organique n°2012-016 du 1er août 2012 relative aux premières élections législatives de la quatrième République ;

              Vu le décret n°2013-606 du 9 août 2013 abrogeant le décret n°2012-978 du 7 novembre 2012 et constatant la nomination des nouveaux membres élus et désignés au sein de la chambre spéciale dénommée « Cour Electorale Spéciale » (CES) au sein de la Haute Cour Constitutionnelle ;

 

            Les rapporteurs ayant été entendus ;

 

            Après en avoir délibéré conformément à la Constitution et à la loi ;

 

             Considérant que par lettre n°000553-PM/SGG/DLC en date du 24 décembre 2013, le Directeur de la Législation et du Contentieux auprès du Secrétariat Général du Gouvernement saisit la Cour Electorale Spéciale d’une requête en interprétation de sa décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013 relative à un recours contre un acte réglementaire ;

 

            Considérant que le requérant soutient que le recours en interprétation consiste à demander le sens et la portée de la décision rendue par la Cour Electorale Spéciale et que selon une jurisprudence constante, tant au niveau national qu’en droit comparé, le recours en interprétation d’une décision juridictionnelle est recevable dès lors qu’il émane de l’une des parties au cours de l’instance qui a abouti au prononcé de la décision dont l’interprétation est sollicitée et dès lors qu’il peut être valablement argué que cette décision est obscure et ambigüe ;

 

            Considérant qu’il est rapporté dans la requête que la Cour Electorale Spéciale, par sa décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013, a annulé le décret n°2013-593 du 6 août 2013 modifiant certaines dispositions du décret n°2013-270 du 16 avril 2013 fixant les conditions d’application de la loi organique n°2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral durant les campagnes électorales ;

 

            Que d’une part, l’Etat Malagasy, l’administration ainsi que tous les acteurs concernés et l’ensemble de la collectivité éprouvent l’extrême difficulté d’appréhender le sens réel de la décision sus évoquée et la portée de l’annulation du décret n°2013-593 du 6 août 2013 ;

 

            Que d’autre part, l’administration, émettrice dudit décret n’a pas été mise par la Cour Electorale Spéciale en mesure de présenter sa défense au cours de l’instance au détriment du principe du contradictoire qui demeure un principe fondamental régissant la procédure en matière de contentieux administratif et toute procédure contentieuse engagée devant toutes les instances juridictionnelles ;

 

            Considérant que la Direction de la Législation et du Contentieux estime que conformément aux principes  fondamentaux du droit public et en vertu des textes législatifs et réglementaires en vigueur, les actes réglementaires ou individuels sont assortis du privilège du préalable et de l’exécution d’office ; que le privilège du préalable est lié à la présomption de légalité qui s’attache aux actes pris par l’administration ; qu’ainsi, ces actes sont revêtus du caractère exécutoire ;

 

            Que le caractère exécutoire demeure la règle fondamentale en droit administratif et à fortiori en ce qui concerne les actes administratifs et les décisions administratives qui sont censés être pris dans l’intérêt général ;

Qu’en conséquence, l’Etat Malagasy est en droit d’estimer qu’en aucun cas, les situations des personnes et/ou des entités respectant les dispositions de l’acte réglementaire ne sauraient être remises en cause ;

 

Que dans le cas d’espèce, les membres du Gouvernement d’union nationale et les chefs d’institutions, à la suite de l’entrée en vigueur du décret n°2013-593 du 6 août 2013, ont exercé, en toute logique et en toute légalité, les droits accordés par les dispositions dudit décret tant au premier tour qu’au second tour de l’élection présidentielle jumelée avec les élections législatives ;

 

Considérant que, de ce qui précède, la Direction de la Législation et du Contentieux demande à la Cour Electorale Spéciale de déclarer la requête recevable et de procéder à l’interprétation de la décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013, notamment sur les points suivants :

 

1-      La décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013 a-t-elle un effet rétroactif ?

 

Il est demandé à la Cour de dire si la décision portant annulation du décret a ou non des effets sur les situations antérieures au 18 décembre 2013 produites par ledit décret et alors de préciser le sens et les effets de la décision sur les résultats des opérations électorales et sur le vote auquel les électeurs ont procédé pour élire le Chef de l’Etat et leurs représentants au niveau du Parlement ;

 

2-      L’annulation du décret n°2013-593 du 6 août 2013 a-t-elle un effet sur la situation de l’ensemble des acteurs et de la collectivité qui l’ont appliqué en toute légalité et en toute bonne foi pendant la période du 15 août 2013 (date de la publication) au 18 décembre 2013 ?

 

3-      L’annulation du décret n°2013-593 du 6 août 2013 entraîne-t-elle de facto l’annulation des voix obtenues ou une disqualification des candidats ayant bénéficié de la présence des Chefs d’institutions et des autorités politiques au cours de la propagande ? 

 

Sur la compétence de la Cour Electorale Spéciale

 

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article premier alinéa 2 de la loi n°2012-014 du 26 juillet 2012 portant création de la Cour Electorale Spéciale, celle-ci « exerce la plénitude des compétences attribuées à la Haute Cour Constitutionnelle en matière électorale dans le cadre des premières élections du Président de la République et des députés de l’Assemblée nationale de la quatrième République » ;

 

Considérant que dans le cas d’espèce, la Cour Electorale Spéciale est saisie d’un recours en interprétation de sa décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013 ayant annulé le décret n°2013-593 du 6 août 2013 modifiant certaines dispositions du décret n°2013-270 du 16 avril 2013 fixant les conditions d’application de la loi organique n°2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral durant les campagnes électorales ;

Considérant d’une part qu’il est de principe que la Cour Electorale Spéciale, compétente pour statuer sur toute question à l’occasion de la requête en vertu des dispositions de l’article 35 alinéa 2 de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 relative à la Haute Cour Constitutionnelle, l’est également pour examiner un recours en interprétation de sa propre décision

 

Considérant d’autre part qu’avant de statuer sur les recours contre les résultats des scrutins dans le cadre d’un contentieux postélectoral pouvant aboutir soit à la confirmation des résultats, soit au rejet de la requête, soit à la réformation des résultats, qui constituent des questions principales, la Cour de céans est amenée à examiner la question relative au sens, aux effets et à la portée de la décision d’annulation du décret, ce qui constitue une question préalable devant commander la solution de la question principale ;

 

Considérant dès lors que la Cour Electorale Spéciale est compétente pour examiner le recours en interprétation de la décision sus évoquée ;

 

Sur la recevabilité

 

Considérant que la requête en interprétation émane de la Direction de la Législation et du Contentieux, représentant le Gouvernement, auteur du décret ayant fait l’objet de l’annulation ;

 

Qu’elle a donc  intérêt à agir afin de demander l’effet et la portée de la décision d’annulation sans pouvoir la remettre en cause ;

 

Qu’il échet de déclarer la requête recevable ;

 

AU FOND

 

Considérant que par la décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013, le décret n°2013-593 du 6 août 2013 a été annulé au motif qu’il contrevient aux dispositions du paragraphe 15 de la Feuille de route, déjà insérée dans l’ordonnancement juridique interne par la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011, par la violation de l’obligation de neutralité de l’administration ;

 

Qu’en effet, le décret sus cité, en octroyant la possibilité pour les autorités politiques non candidats d’assister aux manifestations de campagnes électorales ainsi que de l’utilisation de leur photo, de leur nom ou de leur effigie, rentre en violation du principe de neutralité de l’administration et du principe d’égalité entre les candidats ;

 

Considérant ainsi que la décision de la Cour Electorale Spéciale a été prise en vertu du principe de la plénitude de juridiction ; que le contrôle de validité et de régularité qu’elle a exercé s’étend aux actes administratifs non détachables du processus électoral ;

Considérant qu’au respect du principe de la légalité administrative et de celui de l’Etat de droit, toute autorité administrative et surtout le Gouvernement, dans les décisions qu’ils sont amenés à prendre, sont tenus de se conformer à la loi ;

 

 

Sur la question relative à la rétroactivité de la décision n°23-CES/D du 18 décembre 2013

 

– Considérant qu’il est de principe de droit que l’annulation d’un acte administratif est rétroactive, que l’acte est censé n’avoir jamais existé et ses effets juridiques réalisés doivent être anéantis ;

 

– Considérant toutefois que le droit comparé enseigne qu’à titre exceptionnel,  selon une jurisprudence récente, dans le but de la protection de l’intérêt général,  le juge ayant prononcé l’annulation de l’acte administratif, peut être conduit à moduler dans le temps les effets des annulations découlant des illégalités relevées et à faire ainsi une exception au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses ;

 

Qu’il en est ainsi de l’arrêt Association AC et autres du 11 mai 2004 du Conseil d’Etat français dont le considérant de principe est formulé comme suit : « Considérant que l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; que toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause, de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu’il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel, au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine » ;

 

Considérant qu’en tout état de cause,   par rapport à l’évolution de la jurisprudence, tant nationale qu’étrangère sur la notion de rétroactivité, il appartient à la Cour Electorale Spéciale d’apprécier souverainement les effets de l’annulation d’un acte administratif en fonction des circonstances et des spécificités du processus de sortie de crise à Madagascar ;

 

Sur l’annulation des voix obtenues ou la disqualification des candidats suite à l’annulation du décret n°2013-593 du 6 août 2013.

 

Considérant que dans l’exercice de ses fonctions, en matière de contentieux, le juge électoral statue sur les requêtes qui lui sont introduites en référence et en application de la loi organique n°2012-005 du 22 mars 2012 portant Code électoral, des lois spécifiques à chaque catégorie d’élection ainsi que des textes réglementaires pris pour leur application ;

 

Considérant qu’ainsi, la Cour Electorale Spéciale peut procéder à l’annulation des voix obtenues par l’option ou le candidat ou la liste des candidats mis en cause en cas d’utilisation des biens publics ainsi que des prérogatives de puissance publique à des fins de propagande électorale en application des dispositions de l’article 133 du Code électoral ;

 

Considérant par ailleurs qu’aux termes de l’article 134 du Code électoral, sur demande de tout intéressé ou sur constatation de la Commission Electorale Nationale Indépendante ou de ses démembrements au niveau territorial, toute autorité politique, tout fonctionnaire d’autorité, civile ou militaire, candidats à une élection, ayant usé des prérogatives de puissance publique dont ils disposent pour influencer le choix des électeurs, peuvent être disqualifiés ;

 

Considérant en outre que la Cour Electorale Spéciale, selon les dispositions de l’article 35 in fine de l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 relative à la Haute Cour Constitutionnelle, peut procéder « soit à l’annulation des opérations de bureaux de vote concernés s’il a été prouvé que les faits ou les opérations contestées ont altéré la sincérité du scrutin et modifié le sens du vote émis par les électeurs ou s’il y a eu violation flagrante des dispositions législatives ou réglementaires ou des prescriptions d’ordre public » ;

 

Considérant encore qu’aux termes des dispositions de l’article 32 alinéa 2 de la loi organique n°2012-015 du 1er août 2012 sur l’élection présidentielle et de celles de l’article 56 alinéa 2 de la loi organique n°2012-016 du 1er août 2012 sur les élections législatives, l’annulation partielle ou totale pourrait résulter de l’omission des formalités substantielles ;

 

Considérant qu’en tout état de cause, la Cour Electorale Spéciale apprécie souverainement les opérations et faits contestés ainsi que la force probante des pièces produites à l’appui des moyens invoqués ;

 

Par ces motifs,

 

Décide :

 

 

Article premier.- La Cour Electorale Spéciale, conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur, dispose d’un droit souverain d’appréciation en ce qui concerne les effets de l’annulation du décret n°2013-593 du 6 août 2013.

 

Article 2.– Les décisions d’annulation des voix éventuellement obtenues par chaque candidat ou de la disqualification de candidat seront prises, en tant que de besoin, conformément aux dispositions législatives en vigueur.

 

Article 3.- La présente décision sera publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en son audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi vingt-sept décembre l’an deux mil treize à neuf heures, la Cour Electorale Spéciale étant composée de:

 

            Monsieur RAKOTOZAFY François, Président

             Monsieur RAHARINARIVONIRINA Alisaona, Membre

             Monsieur RAZAFINDRABE JOSOA Jean Clément, Membre                                      

             Monsieur RAMANGASON Jean Marie, Membre

             Madame PELIARIMANANA Augustine Elysée, Membre

             Monsieur RASIVIARSON Félicien, Membre

             Monsieur RAKOTONDRABAO ANDRIATSIHAFA Dieudonné, Membre

             Monsieur RAJERISON Arsène, Membre

             Monsieur MAHAZAKA Clermont Gervais, Membre

             Madame RANAMPY Marie Gisèle, Membre

             Monsieur BEFOUROUACK William, Membre

             Monsieur RANDRIANTSOA Mong Wai-Tune Serge Lucky, Membre

             Monsieur ANJARARISON Ken, Membre

             Monsieur IMBIKI Herilaza, Membre

             Monsieur RABARISOA Andrianaina, Membre

             Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Membre

             Madame  RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Membre

             Monsieur ANDRIAMAMPIANDRA Mamy Jaona, Membre

 et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.