La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre datée du 10 mars 2014 et enregistrée au Greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 11 mars 2014, quarante des députés de Madagascar composant le quart d’entre eux à l’Assemblée Nationale, ont saisi la Haute Cour de céans, conformément à l’article 118 alinéa 1er de la Constitution, aux fins de contrôler la constitutionnalité d’un extrait de projet de règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, de déclarer non applicable ledit extrait de projet de règlement intérieur non soumis au préalable au contrôle de constitutionnalité, et de déclarer nuls les résultats des élections du Président de ladite Assemblée en date du 18 février 2014 et du bureau permanent en date du 19 février 2014 obtenus par l’application dudit extrait de projet de règlement intérieur ;
Considérant que les requérants demandent à la Haute Cour de céans de déclarer non applicable un extrait de projet de règlement intérieur annexé à leur requête, lequel a servi de fondement textuel à l’organisation des élections du Président de l’Assemblée Nationale en date du 18 février 2014 et du bureau permanent en date du 19 février 2014 ;
Qu’ils soutiennent que : « Le règlement intérieur dont s’agit n’a même pas été adopté par l’Assemblée plénière des députés élus ;
Qu’il n’a pas non plus fait l’objet de contrôle de constitutionnalité prévu par l’article 117 alinéa 4 de la Constitution;
Que les élections précitées sont alors inconstitutionnelles et irrégulières au regard de l’article 117 alinéa 1er de la Constitution de la quatrième République ; qu’il y a lieu en conséquence de déclarer nuls les résultats des élections de l’Assemblée Nationale en date du 18 février 2014 organisées en vertu dudit Règlement intérieur. » ;

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Considérant que dans son mémoire en défense en date du 14 mars 2014, la Présidente de l’Assemblée Nationale, conclut au rejet de la demande en exposant en substance:

I – Sur le contrôle préalable de la Haute Cour Constitutionnelle
Qu’aucune affaire n’est entamée avant l’élection du Président de l’Assemblée Nationale, que le Président est toujours élu à la première séance, session spéciale, de la législature ; que le rôle du doyen d’âge se limite à la direction de la séance conduisant à l’élection du Président de l’Assemblée Nationale ;

Que compte tenu de ces principes, malgré les dispositions constitutionnelles suscitées lesquelles concernent en pratique le règlement intérieur intégral dûment adopté par la chambre lors de sa première session ordinaire, la session spéciale se limite souvent à l’élection du Président et les autres membres du bureau permanent pour que l’Assemblée puisse fonctionner en tant qu’Institution de la République ;

Qu’en outre, la spécificité du droit parlementaire, qui est une branche autonome du droit constitutionnel, réside dans le fait que la définition, l’application et l’interprétation des règles de procédures en son sein relèvent de l’Assemblée elle-même ; que de même, au niveau de chaque Assemblée, les précédents, les usages et la pratique constituent une source importante de la procédure ;

II – La régularité des élections des membres du bureau permanent
Que ce groupe de députés a participé à toutes les élections des membres du bureau permanent et ayant des candidats à chaque catégorie d’élection ;

Que tous les députés ont participé aux différents scrutins pour les élections des membres du Bureau permanent et qu’ils ont assisté aux dépouillements ; que l’Assemblée a aussi statué sur les réclamations qui ont été soulevées concernant le déroulement des scrutins;

Que la base juridique principale de l’élection des membres du bureau permanent de l’Assemblée Nationale sont les articles 74 et 78 de la Constitution ; qu’étant donné que le constituant, par respect du principe de la séparation des pouvoirs, n’a pas déterminé le mode de scrutin à appliquer pour les élections des membres du Bureau permanent, il revenait à l’Assemblée Nationale de le fixer souverainement ; que ce fut le cas lors de la séance plénière du 18 février 2014 ;

Que « Le Règlement, c’est la loi intérieure de chaque chambre, fixée par elle-même. La chambre agit en établissant son règlement non comme une branche du pouvoir législatif mais à titre de corporation autonome dotée d’un pouvoir d’organisation et possédant sur ses membres une autorité disciplinaire. » ;

III- La jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle en la matière
Que la Haute Cour Constitutionnelle, dans son Avis n° 01-HCC/AV du 8 mai 2006 considère en tout cas qu’ « en application de l’article 75 de la Constitution, il n’appartient pas à la Haute Cour Constitutionnelle d’établir ou de fixer les modalités de vote applicable dans une Institution souveraine, et que depuis sa création, l’Assemblée Nationale a toujours voté malgré l’absence de précision sur les modalités de vote et que devant ses responsabilités actuelles, il lui appartient d’adopter souverainement un mode de vote susceptible de régler la question en cours. » ;

Que l’élection du Président de l’Assemblée Nationale et celle des autres membres du bureau permanent sont des actes parlementaires qui, par nature, échappent à tout contrôle juridictionnel ; que ceci est un principe universel qui découle de celui de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ;

Que l’Assemblée Nationale est elle-même juge de la régularité des élections et de celle des actes administratifs qui les ont préparées ;
Que de tout ce qui précède, il est demandé à la Haute Juridiction de rejeter la demande de ce groupe de députés et de lui demander de se conformer aux règles et usages qui régissent la vie parlementaire ;

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Considérant que par mémoire en réplique en date du 21 mars 2014 les requérants soutiennent à nouveau :

Que la requise admet, elle-même, et de prime abord, que les dispositions de l’article 117 alinéa 4 de la Constitution ne peuvent être contournées en aucune manière ;

Que le contrôle de constitutionnalité prescrit par la Constitution, ainsi que les dispositions de l’article 27 alinéa 2 de l’ordonnance n° 2001–003 du 18 novembre 2001 relative à la Haute Cour Constitutionnelle, est un principe de droit constitutionnel malgache applicable en toutes circonstances ;

Que cet alinéa 2 de l’article 27 de l’ordonnance suscitée stipule que la Haute Cour Constitutionnelle « … statue également sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, des conventions interprovinciales et des règlements autonomes édictés par le pouvoir central ainsi que des règlements intérieurs des Assemblées parlementaires. » ;
Que mettre en avant des « principes et traditions parlementaires » et « des usages universellement reconnus », et affirmer « une tolérance » de la Haute Cour Constitutionnelle « depuis l’indépendance jusqu’à nos jours », ainsi que l’absence « d’intérêt pratique » de la démarche des députés requérants, selon les propos de la requise dans son mémoire en défense, ne pourrait annihiler un principe constitutionnel s’imposant à tous les pouvoirs publics et à toutes les institutions de l’Etat sans exception aucune, et transformer une tolérance en principe ;

Que l’Assemblée Nationale étant une institution de l’Etat, est tenue, comme toutes les autres institutions, au strict respect des dispositions constitutionnelles ;

Que les élections au niveau d’une assemblée parlementaire, bien que constituant une affaire interne à ladite assemblée ne saurait échapper à tout contrôle constitutionnel sans plonger dans un régime d’assemblée despotique, voire un Etat de non-droit ;

EN LA FORME

Considérant qu’aux termes de l’article 118 alinéa 1er de la Constitution : « Un Chef d’Institution ou le quart des membres composant l’une des Assemblées Parlementaires ou les Organes des Collectivités Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de Droit peuvent déférer à la Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou règlementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence… » ;

Considérant que la requête, signée par quarante députés, soit plus du quart des membres de l’Assemblée Nationale, est régulière, donc recevable ;

AU FOND

Sur le contrôle de constitutionnalité préalable à l’application d’un règlement intérieur

Considérant qu’aux termes de l’article 117 alinéa 4 de la Constitution : « Le règlement intérieur de chaque Assemblée est soumis au contrôle de constitutionnalité avant sa mise en application. Une disposition jugée inconstitutionnelle ne peut être appliquée. » ;

Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle ne saurait procéder au contrôle de constitutionnalité d’un extrait de projet comportant un certain nombre d’articles sans disposer du règlement intérieur pris dans son ensemble, au cas où il existe, lequel règlement intérieur serait destiné exclusivement à l’Assemblée Nationale de la quatrième République, composée de députés nouvellement élus au suffrage universel direct ;

Que s’agissant d’une Assemblée différente de l’ancien Congrès de la Transition, elle devrait nécessairement adopter son propre règlement intérieur ;

Considérant qu’une décision de conformité à la Constitution rendue par la Cour de céans confère au règlement intérieur adopté définitivement par une Assemblée son applicabilité une fois les étapes procédurales y requises observées ;

Considérant en effet qu’aux termes de l’article 79 de la Constitution « Les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale sont fixées dans leurs principes généraux par une loi organique et dans leurs modalités par son règlement intérieur. Le règlement intérieur est publié au Journal Officiel de la République. » ;

Qu’il ressort des prescriptions dudit article 79 que, préalablement à sa mise en application, le règlement intérieur définitif, dans son intégralité, requiert l’observation de dispositions clairement définies par la Constitution ;

Considérant qu’ un certain nombre de dispositions qualifié d’extrait de projet à un règlement intérieur encore inexistant ou à venir, est encore susceptible d’être aménagé au cours de l’élaboration du règlement intérieur final ; que lesdites dispositions pourraient donner lieu à un changement, une complémentarité ou un élargissement de certaines structures d’organisation ou autres, voire de suppression avant la soumission au contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour de l’ensemble du futur règlement intérieur;

Considérant ainsi, que dans le cas d’espèce, la Haute Cour Constitutionnelle ne saurait procéder au contrôle de conformité à la loi fondamentale, tel que prévu à l’article 117 alinéa 4 de la Constitution énoncé ci-dessus ;

Considérant, par ailleurs, qu’afin de permettre à l’institution de la République qu’est l’Assemblée Nationale d’être en état de fonctionner au début même de la législature, l’article 78 alinéa 1er de la Constitution dispose que : « L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session spéciale le deuxième mardi qui suit la proclamation des résultats de son élection pour procéder à la constitution de son bureau et à la formation des commissions. » ;

Qu’ainsi, étant appelée à constituer son bureau et à former des commissions, dès la tenue de ladite session spéciale, l’Assemblée Nationale peut être amenée à adopter, compte tenu de son statut d’institution souveraine établie dans le cadre de la séparation des pouvoirs, certaines modalités de scrutin de vote, au cas où son propre règlement intérieur fait encore défaut ; que de telles modalités doivent recevoir l’approbation des députés ;

Sur la nécessité d’adoption du règlement intérieur pour l’Assemblée Nationale
Considérant que l’une des premières tâches de toute institution comme l’Assemblée nationale, est de se doter d’un règlement intérieur ;

Que l’inexistence de règlement intérieur ou sa non application peut handicaper son organisation administrative et porter atteinte à l’exercice du pouvoir législatif tel que défini par les dispositions constitutionnelles;

Considérant qu’en tout état de cause, le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale doit être conforme à la Constitution et aux lois organiques prises pour son application ;

Qu’en effet il contribue à l’organisation de son fonctionnement interne, précise les modalités d’élection de ses organes, les procédures de délibération et détermine les règles disciplinaires applicables à ses membres ;

Que le règlement intérieur constitue un instrument nécessaire pour éviter d’éventuels litige ou conflit internes au sein de l’Assemblée ; qu’il requiert une grande célérité quant à son élaboration ;

Sur les élections tenues au sein de l’Assemblée Nationale

Considérant qu’aux termes de l’article 74 alinéa 1er de la Constitution : « Le Président de l’Assemblée Nationale et les membres du bureau sont élus au début de la première session pour la durée de la législature. » et à ceux de l’article 78 alinéa 1er de la Constitution elle-même : « L’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session spéciale le deuxième mardi qui suit la proclamation des résultats de son élection pour procéder à la constitution de son bureau et à la formation de ses commissions. » ;

Considérant que le décret présidentiel pris en conseil des ministres n° 2014 – 097 du 12 février 2014 portant convocation de l’Assemblée Nationale en session spéciale, avec comme ordre du jour la constitution du bureau de l’Assemblée Nationale et la formation des commissions, a été pris pour satisfaire aux dispositions sus-énoncées des articles 74 alinéa 1er et 78 alinéa 1er de la Constitution ;

Considérant que la Constitution a octroyé à l’Assemblée Nationale, en tant qu’institution souveraine, le pouvoir d’adopter des mesures d’ordre interne concernant l’élection des membres du bureau permanent ;

Que des élections ont pu avoir lieu à l’Assemblée Nationale les 18 et 19 février 2014 ;

Considérant qu’en l’absence du règlement intérieur définitif ayant été soumis à contrôle de constitutionnalité, la Haute Juridiction ne saurait se substituer aux députés pour déterminer leur choix de scrutin ou modalités de vote ;

Considérant néanmoins qu’ à défaut d’un règlement intérieur propre ayant été soumis au préalable au contrôle de conformité à la Constitution, les résultats des élections obtenus à l’Assemblée Nationale, bien que leurs organisation ou modes de scrutin aient été tirés de la pratique, lesquels doivent faire l’objet d’une convention ou accord librement consentis entre députés , ne revêtent un caractère définitif pour la législature qu’après leur confirmation ou infirmation par l’application des dispositions d’un règlement intérieur déclaré conforme à la Constitution ;

En conséquence,
D é c i d e :

Article premier.- Le contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur de chaque Assemblée, avant sa mise en application prévue par l’article 117 alinéa 4 de la Constitution, concerne le règlement intérieur considéré dans son intégralité, et ses amendements.

Article 2.– Un règlement intérieur non soumis à la Haute Cour Constitutionnelle pour contrôle de constitutionnalité est inapplicable.

Article 3.- L’Assemblée Nationale adoptera son règlement intérieur, à soumettre au contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour Constitutionnelle.

Article 4.– En vertu du principe constitutionnel de continuité de l’Etat, les organes de l’Assemblée Nationale élus les 18 et 19 février 2014 restent en place, jusqu’à l’élection des nouveaux organes organisée en application des dispositions du règlement intérieur définitif.

Article 5.-La présente décision sera publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi vingt-sept mars l’an deux mille quatorze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller-Doyen, Président
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Haut Conseiller

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.