La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que par lettre n°079-PRM/14-DEJ du 22 juillet 2014, reçue au greffe le 23 juillet 2014, le Président de la République saisit la Haute Cour Constitutionnelle pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, la Loi organique n°2014-009 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°2014-001 du 18 avril 2014 fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale, adoptée par l’Assemblée Nationale le 3 juillet 2014 ;
EN LA FORME
Considérant que la saisine, introduite par un Chef d’Institution et conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, doit être déclarée recevable ;
AU FOND
Considérant qu’il est d’emblée à rappeler, tel que le soulignent, de manière indifférenciée, la doctrine la plus exigeante ainsi que l’ensemble de la jurisprudence internationale en matière constitutionnelle, que « le Parlement législateur est un ‘pouvoir constitué’. Il n’exprime la volonté générale que s’il se conforme aux conditions posées par la Constitution. Il en est ainsi quant aux règles de forme et de procédure concernant l’exercice du pouvoir législatif. Il en va de même quant aux règles de fond, c’est-à-dire quant au respect des principes et des règles que la Constitution impose comme limites au contenu des textes législatifs » ; Qu’ainsi, « le juge constitutionnel, loin de porter atteinte à la souveraineté nationale, loin de censurer la volonté générale, assure le respect de l’une et de l’autre en assurant celui de la Constitution qui est leur expression suprême et totale » ;
Considérant que la Cour de céans rappelle qu’elle ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; Que le contrôle que lui assigne la Constitution consiste à vérifier la réalité du lien de conformité de la loi qui lui est soumise à la Constitution ;
Considérant qu’il est de jurisprudence constante de la Haute Cour Constitutionnelle que lorsqu’elle est saisie, en application de l’article 117 de la Constitution, d’une loi votée par le Parlement avant sa promulgation, il lui appartient, non seulement de se prononcer sur la conformité de ladite loi à la Constitution, mais encore d’examiner si celle-ci a été adoptée dans le respect des dispositions constitutionnelles relatives à la procédure législative, et de se prononcer sur la régularité de la procédure suivie ;
Sur le respect de la procédure législative
Considérant que l’article 86 alinéa 1er de la Constitution dispose que :« l’initiative des lois appartient concurremment au Premier Ministre, aux Députés et aux Sénateurs » ; Que la proposition d’amendements à l’Ordonnance portant Loi organique sur le fonctionnement de l’Assemblée Nationale a été préparée par la Commission ad hoc mise en place au sein de l’Assemblée Nationale, initialement aux fins de l’élaboration de son Règlement intérieur, et formalisée au cours des travaux de la Commission ad hoc lors de la séance qu’elle a tenue le mercredi 21 mai 2014 ;
Considérant qu’en application des dispositions de l’article 113 alinéa 2 de l’Arrêté n°67-AN/P du 3 mai 2014 portant Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, l’intervention d’une commission ad hoc dans la procédure législative n’est prévue que, « dans le cas où une commission permanente se déclare incompétente ou en cas de conflit de compétence entre deux ou plusieurs (commissions permanentes), le Président, après un débat où sont seuls entendus le Gouvernement ou l’auteur de la proposition et les présidents des commissions intéressées, propose par priorité à l’Assemblée la création d’une commission spéciale (…) » ; Que l’intervention de la Commission ad hoc dans la préparation et la confection de la proposition d’amendements à l’Ordonnance portant Loi organique sur le fonctionnement de l’Assemblée Nationale ne correspond aucunement à cette prescription du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ; Qu’ainsi, faute d’avoir respecté les dispositions de l’article 113 alinéa 2 du Règlement intérieur, qui revêtent un caractère substantiel, l’initiative parlementaire dont le texte adopté est issu, repose sur un vice de procédure ;
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article 53 alinéa 2 de l’Arrêté n°67-AN/P du 3 mai 2014 portant Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, « le Gouvernement est avisé par le Président de l’Assemblée Nationale du jour et de l’heure de la Conférence (des Présidents)». Il peut s’y faire représenter par l’un de ses membres ; Que l’alinéa 4 du même article 53 souligne que « la priorité (dans l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée Nationale) est donnée dans l’ordre fixé par le Gouvernement en application de l’article 86 alinéa 3 de la Constitution » ;
Considérant qu’au regard des éléments de la procédure législative suivie pour l’examen de la proposition de Loi organique n°2014-009 adoptée par l’Assemblée Nationale en sa séance du 3 juillet 2014 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°2014-001 fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale, tels que transmis par le Président de l’Assemblée Nationale par sa lettre n°052-AN/P/SG du 14 août 2014 à la Cour de céans, le Gouvernement n’a pas été avisé par le Président de l’Assemblée Nationale du jour ni de l’heure de la Conférence des Présidents de l’Assemblée Nationale convoquée à cet effet ; Que ce défaut d’information n’a pu permettre l’accès de l’Exécutif à la Conférence des Présidents conformément aux dispositions de l’article 53 alinéa 2 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ; Qu’en conséquence, l’Exécutif a été privé de l’exercice des prérogatives que lui confèrent les dispositions de l’article 86 alinéa 3 de la Constitution ;
Considérant, en outre, que selon les termes de l’article 111 alinéa 1er du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, « les propositions de loi (…) présentées par les députés sont déposées et examinées par la Conférence des Présidents après avis du Bureau de la Commission juridique statuant en présence du ou des auteurs des propositions, à l’exception des dispositions faisant application à ces dernières des articles 86 alinéas 6 et 7 et 95 de la Constitution » ; Que cette étape essentielle au sein de la procédure législative n’a pas été respectée lors du dépôt de la proposition d’amendements à l’Ordonnance portant Loi organique sur le fonctionnement de l’Assemblée Nationale ;
Considérant que si le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale n’a pas en lui-même valeur constitutionnelle, et que la méconnaissance alléguée de dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ne saurait avoir pour effet, à elle seule, de rendre la procédure législative contraire à la Constitution, il n’en demeure pas moins que lorsque l’erreur manifeste d’appréciation du législateur dans le recours à ces dispositions contribue à restreindre l’exercice d’un droit constitutionnellement garanti, ou que le respect des dispositions dudit Règlement conditionne la constitutionnalité de la procédure législative suivie, la violation de ces dispositions a pour effet de rendre la procédure législative non conforme à la Constitution ;
Considérant enfin, que le jeudi 22 mai 2014, date de dépôt de la proposition d’amendements à l’ordonnance n°2014 – 001 portant loi organique fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale auprès du Bureau permanent de l’Assemblée Nationale, tel qu’indiqué par la lettre n°052-AN/P/SG du 14 août 2014 du Président de l’Assemblée Nationale, ladite proposition a été immédiatement, dans la même journée du jeudi 22 mai 2014, présentée à l’Assemblée Nationale réunie en séance plénière; Que de ce fait, les modalités procédurales préalables, requises avant que la proposition de loi organique ne vienne devant l’Assemblée Nationale en séance plénière telles qu’elles sont définies par les dispositions des articles 111 aliéna 1er, 112 alinéa 6, 113 alinéa 1er du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, n’ont pas été respectées ;
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes des dispositions de l’article 89 – 1° de la Constitution, il est prescrit que « le projet ou la proposition (de loi organique) n’est soumis à la délibération et au vote de la première Assemblée saisie qu’à l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt » ; Que la proposition d’amendements à l’ordonnance n°2014 – 001 portant loi organique fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale, qui est de nature organique, a fait l’objet de l’entame d’une discussion lors la séance plénière de l’Assemblée Nationale qui s’est tenue effectivement le jeudi 22 mai 2014, telle que rapportée par l’ensemble des organes de presse ; Que le non-respect, à cet égard, de la garantie de procédure fixant un délai de réflexion de quinze jours, indiqué spécifiquement à l’endroit des projets et des propositions de loi organique pour éviter leur examen précipité, constitue une violation grave et manifeste des dispositions de l’article 89-1°de la Constitution ;
Considérant que toutes ces irrégularités commises ab initio ont un caractère substantiel de nature à entacher de nullité l’ensemble de la procédure législative engagée, bien que la suite de la procédure devant l’Assemblée Nationale ait été régulière ; Qu’en conséquence, la proposition de loi organique n°2014-009 adoptée par l’Assemblée Nationale en sa séance du 3 juillet 2014 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°2014-001 fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale, soumise à l’examen de la Haute Cour Constitutionnelle doit être déclarée non conforme à la Constitution ;
En conséquence,
D é c i d e :
Article premier.- La loi organique n°2014-009 modifiant certaines dispositions de l’ordonnance n°2014-001 fixant les règles relatives au fonctionnement de l’Assemblée Nationale n’est pas conforme à la Constitution et ne peut ainsi être promulguée.
Article 2.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi cinq septembre l’an deux mille quatorze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller-Doyen, Président ;
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
M. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Haut Conseiller.
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.