La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi organique n°2012-005 du 22 février 2012 portant Code électoral ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie le 12 octobre 2015 par le Président de la République par lettre n°93/PRM/SG/DEJ-15 reçue et enregistrée au greffe le même jour, pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, la loi n°2015-020 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission Electorale Nationale Indépendante » ;

Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que selon l’article 117 de la Loi fondamentale « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

Considérant que selon l’article 5 alinéa 2 de la Constitution, « l’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale indépendante » ; que l’alinéa 3 du même article précise que la loi organise les modalités de fonctionnement de ladite structure » ; que la loi n°2015-020 est donc une application des dispositions constitutionnelles précitées ;

Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République doit être déclarée recevable ;

AU FOND

Sur l’indépendance de la Commission électorale nationale

Considérant que l’article 5 alinéa 2 de la Constitution pose le principe de l’indépendance de la structure nationale chargée de l’organisation et gestion de toutes les opérations électorales ; que cela signifie que, par principe, cette indépendance doit être réelle vis-à-vis des trois branches exécutive, législative et judiciaire ;

Considérant que la signification communément admise de la notion d’indépendance d’un organe de gestion des élections, telle que la Commission électorale nationale indépendante instituée par la loi sous examen, recèle deux dimensions distinctes, mais complémentaires ; celle, d’une part, de l’indépendance institutionnelle, ou organique qui s’apprécie principalement par rapport à l’Exécutif, celle, d’autre part, de l’indépendance substantielle ou matérielle, qui se rapporte aux attributions et à la nature des responsabilités confiées à la Commission ; que ce dernier aspect se vérifie à travers l’autonomie de la volonté de la commission dans ses prises de décision, lesquelles doivent être dénuées de l’ingérence d’autres institutions et des influences partisanes ;

Considérant que ces deux acceptions de l’indépendance de la Commission électorale sont certes rattachées à des problématiques distinctes, mais qu’elles demeurent liées, la première tenant à la composition de la commission, la seconde à l’essence même de la responsabilité de la commission ;

Concernant la composition de la Commission

Considérant que selon l’article 13 alinéa 3 de la loi n° 2015-020, « la formation permanente constitue le Bureau Permanent de la Commission Electorale Nationale Indépendante » ; qu’elle est ainsi l’organe essentiel de fonctionnement et de prise de décision de la CENI ;

Sur l’article 15 de la loi

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 15 de la loi soumise à l’examen de la Cour de céans, le législateur précise que, « la formation permanente de la Commission Électorale Nationale Indépendante est un organe collégial constitué de neuf (9) membres dont :

– une personnalité désignée par le Président de la République ;
– une personnalité élue par le Sénat ;
– une personnalité élue par l’Assemblée Nationale ;
– une personnalité élue par la Haute Cour Constitutionnelle ;
– une personnalité élue par la Cour suprême;
– une personnalité élue par l’Ordre des Avocats ;
– une personnalité élue par l’Ordre des Journalistes ;
– deux personnalités issues des organisations de la société civile légalement constituées œuvrant dans le domaine de l’observation des élections.
Les modalités d’élection, pour les entités non régies par un Règlement intérieur, sont fixées par voie réglementaire » ;

Que selon cet article, le recrutement de ses membres a un caractère mixte puisque trois sont désignés ou élus par des autorités politiques (Président de la République, Sénat, Assemblée nationale), deux sont élus par une institution et un organe juridictionnel (Haute Cour Constitutionnelle, Cour Suprême), deux sont élus par des ordres professionnels (Ordre des Avocats, Ordre des journalistes) et deux sont élus par les organisations de la société civile légalement constituées œuvrant dans le domaine de l’observation des élections ;

Considérant que ce mode de désignation des membres de la formation permanente de la Commission Électorale Nationale Indépendante, faisant participer des institutions de l’Etat exerçant les fonctions exécutive, législative et/ou judiciaire, ne lui est pas propre ; qu’il est vérifié à l’endroit d’autres institutions ayant, elles aussi, vocation à exercer leurs attributions de manière indépendante, selon des modalités qui sont fixées soit par le constituant, à l’exemple de la Haute Cour Constitutionnelle, en application des dispositions de l’article 114 alinéa 2 de la Constitution, ou de la Haute Cour de Justice, conformément aux dispositions de l’article 136 de la Constitution ; soit par le législateur, tel que celui-ci les a définies, en complémentarité avec la participation d’autres acteurs issus notamment des organisations de la société civile, pour la composition de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme selon les dispositions de l’article 7 de la loi n°2014-007 du 22 juillet 2014 portant institution de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme, ou pour la composition du Haut Conseil pour la défense de la démocratie et de l’Etat de droit tel qu’il est prescrit par les dispositions de l’article 5 de la loi n°2015-001 du 12 février 2015 relative au Haut Conseil pour la défense de la démocratie et de l’Etat de droit, dont s’inspirent très largement les dispositions de l’article 15 de la loi soumise à l’appréciation de la Cour de céans ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’article 15 est conforme à la Constitution ;

Sur l’article 16 de la loi

Considérant, en second lieu, pour les modalités de désignation des personnalités membres de la Commission électorale, qu’aux termes de l’article 16 de la loi, « le Bureau permanent de la Commission Electorale Nationale Indépendante, soixante (60) jours avant la fin de son mandat, invite chaque entité prévue à l’article 15 ci-dessus à désigner son représentant pour le prochain mandat. Chaque entité adresse le procès-verbal de désignation dans les sept (7) jours après la réception de la lettre d’invitation au Président de la République. Le défaut ou le retard de désignation de son représentant par chaque entité ne constitue pas un obstacle au bon fonctionnement de la Commission Electorale Nationale Indépendante » ;.

Considérant que dans ces dispositions de l’article 16, le législateur évoque, à deux reprises, la notion de « représentant des entités » dans la désignation des personnalités qui composeront la formation permanente de la Commission Electorale Nationale Indépendante ; qu’à cet égard, il est toutefois à relever que l’idée de représentant ainsi soulevée, doit être appréhendée dans une perspective strictement juridique ; qu’à ce titre, il est à souligner que, par essence, la notion de représentation est associée à un mécanisme de délégation qui assure l’existence d’un lien entre le représentant et le représenté, au titre duquel le représenté s’exprime par la voix du représentant et que le représentant doit des comptes au représenté ; qu’une telle situation laisse à penser l’existence d’un rapport de subordination de la volonté du représentant par rapport à celle de l’entité représentée, enlevant au représentant le principe de sa libre détermination et, par voie de conséquence, ruine toute idée d’indépendance du représentant ;

Qu’il apparaît ainsi que la notion de « représentant de chaque entité » utilisée dans les dispositions de l’article 16 de la loi, laisse à affleurer l’idée de l’existence d’une organisation hiérarchisée de la volonté du représentant par rapport à celle de l’entité représentée, et qu’il existe un mécanisme assurant un lien entre le représentant et le représenté au titre duquel le représenté s’exprime par la voix du représentant et que le représentant doit des comptes au représenté ; qu’une telle situation enlève au représentant le principe de sa libre détermination et, par voie de conséquence, porte atteinte à l’ idée d’indépendance ;

Considérant que dans l’exercice de l’élaboration et de rédaction de la loi, le législateur demeure soumis à l’exigence de précision et de clarté dans les expressions qu’il utilise, et que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi lui impose d’édicter des normes cohérentes, suffisamment précises afin de prémunir les sujets de droit contre les applications contraires à la Constitution ; que l’utilisation de l’expression « représentant des entités » aux fins des modalités de désignation des personnalités devant composer la formation permanente de la Commission électorale ne saurait être en cohérence avec le principe de l’indépendance de ces personnalités et que les modes de désignation ou d’élection des membres de la Commission sont limités à la seule dimension procédurale qui ne saurait, en aucune façon, créer ou être interprétés comme concourant à la cristallisation d’un quelconque rapport de délégation, voire de subordination de la personnalité choisie ;

Considérant que le principe de l’indépendance de la CENI étant posé par la Constitution, toutes les institutions, organes, entités précitées ne constituent que des entités de nomination des membres de la formation permanente ; qu’ en conséquence, dès leur nomination, il n’existe aucun lien de subordination ou de redevabilité des membres de la formation permanente de la CENI à l’endroit de ceux qui les ont désignés ou élus ;

Considérant que le principe de l’indépendance de la Commission électorale doit être préservé, que toute autre interprétation des dispositions de l’article 16 est contraire à la Constitution ;

Concernant l’indépendance substantielle de la Commission

Considérant qu’aux fins de garantir l’indépendance des conditions d’exercice des pouvoirs et des attributions qui sont conférés à la Commission électorale nationale indépendante, le législateur a établi de nombreux dispositifs, en prévoyant, tout d’abord, l’allocation de la personnalité juridique à la Commission électorale (article 3 de la loi), ce qui constitue dans le droit électoral malgache une situation juridique inédite, et consolide le principe de l’autonomie administrative et financière de la Commission ;

Qu’en organisant un régime d’incompatibilité énoncé à l’article 22 de la loi, et dont certains aspects, notamment en matière d’éligibilité à tout processus électoral, ne s’éteignent pas avec la fin du mandat de six ans non renouvelables (article 21), car « les membres de la formation permanente de la Commission Electorale Nationale Indépendante ne peuvent pas se porter candidat à tout mandat public électif durant leur mandat et les cinq années qui suivent » (article 23) , et complété par un régime de récusation des membres de la Commission dont le droit matériel et procédural sont définis par les dispositions du Titre VI du Livre premier du Code de procédure civile (article 24 alinéa 2), le législateur vise à garantir l’indépendance de la Commission électorale dans l’exercice de ses missions ;

Considérant, en outre, qu’un dispositif à trois niveaux obligeant la Commission électorale à établir des rapports, « à l’issue de chaque opération électorale, en fin d’exercice annuel, et en fin de mandat », (article 42), et qui tous doivent être rendus publics intégralement (article 51), ancre de manière constante le principe de redevabilité dans le fonctionnement de l’ensemble des formations permanente ou non permanente de la Commission électorale ;

Considérant que pour assurer l’indépendance d’une Commission électorale, la Constitution ou la loi exige que les membres soient nommés pour un temps plus ou moins long et que leur mandat ne doit pas être renouvelable ; que l’article 21 de la loi n°2015-020, qui dispose que « le mandat des membres de la formation permanente de la Commission Electorale Nationale Indépendante est de six ans non renouvelable », remplit ces deux conditions ;

Considérant que cette totale indépendance de la CENI est confortée par l’article 6 alinéa premier de la loi n°2015-020 qui dispose que « la Commission Electorale Nationale Indépendante n’entretient aucun lien hiérarchique avec les autres institutions de l’Etat » ; que la CENI dispose ainsi d’un pouvoir de décision propre et que les autres institutions de l’Etat ne disposent pas d’un pouvoir d’instruction, d’un pouvoir d’annulation ou de réformation de ses décisions ni d’un pouvoir exercé sur les membres de la Commission ;

Qu’il appert que par toutes ces dispositions, le législateur institue des garanties de nature à assurer l’indépendance et l’impartialité nécessaires pour que la Commission électorale nationale indépendante puisse exercer les missions qui lui sont confiées ;

Considérant que cette loi ne comporte aucune disposition contraire à la Constitution ;

EN CONSEQUENCE
DECIDE :

Article premier – Sous les réserves d’interprétation énoncées à l’endroit de l’article 16 dans la présente décision, les dispositions des autres articles de la loi n°2015-020 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission électorale nationale indépendante », sont déclarées conformes à la Constitution, et peuvent faire l’objet d’une promulgation.

Article 2- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi seize octobre l’an deux mil quinze à quatorze heures trente minutes, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller-Doyen ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;
Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle ;
Mr. DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.