La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances ;

Vu la loi organique n°2014-018 régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires ;

Vu la loi n°2014-020 du 27 septembre 2014 relative aux ressources des Collectivités Territoriales Décentralisées, aux modalités d’élections, ainsi qu’à l’organisation, au fonctionnement et aux attributions de leurs organes ;

Vu la loi n°2014-021 relative à la représentation de l’Etat ;

Vu la loi n°2015-050 portant loi de Finances pour 2016 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie le 27 novembre2015 par le Président de la République par lettre N°107/PRM/SG/DEJ-15 reçue et enregistrée au greffe le même jour, pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, la loi n°2015-024 portant octroi de Fonds Local de Développement au profit des Collectivités Territoriales Décentralisées de base ;

Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ;que selon l’article 117 de la Loi fondamentale « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République doit être déclarée recevable ;

AU FOND

Considérant qu’en vertu de l’article 3 de la Constitution, « la République de Madagascar est un Etat reposant sur un système de Collectivités Territoriales Décentralisées composée des Communes, des Régions et des Provinces dont les compétences et les principes d’autonomie financière sont garantis par la Constitution et définis par la loi » ; que selon l’article 142 alinéa premier et deux de la Loi fondamentale, « les Collectivités Territoriales Décentralisées jouissent de l’autonomie financière . Elles élaborent et gèrent leur budget selon les principes applicables en matière de gestion de finances publiques » ;

Considérant que la décentralisation consacrée par la Constitution est une décentralisation territoriale ; que les autorités décentralisées sont les collectivités territoriales ou locales constituées par les Communes, les Régions et les Provinces ; que les deux grands principes de la décentralisation sont le principe d’autonomie et le principe de libre administration ; que la libre administration des collectivités territoriales est un principe général à valeur constitutionnelle ; qu’elle permet de garantir un espace de liberté dans lequel les collectivités territoriales peuvent agir ;

Sur l’article 1 alinéa 2 et 3 de la loi

Considérant qu’en vertu de l’article 1 alinéa 2 de la loi n°2015-024, le Comité Local de Développement « est doté par l’Etat de 400 000 000 d’Ariary sans compter les finances publiques locales présentées en recette et en dépense » ; que selon l’alinéa 3 du même article, « dans le district ou circonscription où il y a deux députés ou plus de vingt (20) Communes où la population est supérieure ou égale à 250.000 habitants, la dotation est doublée » ;

Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 86 alinéa 6 de la Constitution que « les propositions [de loi] ou amendements ne sont pas recevables lorsque leur adoption aura pour conséquence, dans le cadre de l’exercice budgétaire en cours, soit la diminution des ressources publiques soit l’aggravation des charges de l’Etat, sauf en matière de Loi de finances » ;

Considérant que les dispositions de l’article 1 alinéa 2 et 3 précitées constituent des charges supplémentaires pour l’Etat ; qu’elles ne sont pas prévues par la loi n°2015-050 portant Loi de Finances pour 2016 ; qu’en conséquence, elles ne sont pas conformes à la Constitution ;
Sur l’article 2 de la loi

Considérant que l’article 2 de la loi n°2015-024 dispose que «le programme de développement local est conjointement élaboré par le député, le chef de district, les maires, le Président des conseillers municipaux, et des représentants des services territoriaux déconcentrés (STD) (suivant les normes exigées par l’urbanisme et le plan d’aménagement du territoire) »

Ces élus locaux et les responsables au niveau du District définissent leurs priorités, les moyens et les longs termes du plan de développement local et ils en assurent l’exécution ;

Que cette disposition sous-entend un pouvoir de co-décision des députés et des autorités déconcentrées, donc de l’Etat ; qu’elle remet en cause le principe d’autonomie et le principe de libre administration des Collectivités Territoriales Décentralisées ; qu’elle instaure de facto un pouvoir de contrôle d’opportunité a priori aux autorités de l’Etat alors que la Constitution a instauré un contrôle de légalité a postériori ; que le rôle de l’Etat en ce domaine ne peut que se traduire en un rôle de conseil et d’appui technique sans pouvoir de décision comme le prévoit l’article 22 de la loi n°2014-021 relative à la représentation de l’Etat ;

Qu’ainsi cet article n’est pas conforme à la Constitution ;

Sur l’article 3 de la loi

Considérant que l’article 71 alinéa premier de la Constitution prévoit que « le mandat de député est incompatible avec l’exercice de tout autre mandat public électif et de tout emploi public, excepté l’enseignement » ; que la notion d’emploi public comptabilise les personnes travaillant à titre principal dans des administrations publiques ; que tel n’est pas le cas d’un membre du Comité Local de Développement ;

Considérant qu’il résulte de l’article 3 de la loi déférée que « le député préside le Comité Local de Développement. Il dirige, ordonne et veille à son exécution » ; que le Comité Local de Développement est une mise en œuvre du processus de décentralisation financière ; qu’en confier la présidence à un député constitue une atteinte excessive au principe d’autonomie et au principe de libre administration des Collectivités Territoriales Décentralisées ; qu’en vertu de ces deux principes, cet organe doit être présidé par une autorité locale élue et non par un représentant de l’Etat central, qu’il relève du législatif ou de l’exécutif ; qu’en conséquence, les élections régionales devraient être organisées dans les meilleurs délais ;

Considérant cependant que le Parlement, en tant que l’une des principales institutions de la gouvernance, a un rôle critique de contrôle et de supervision en matière financière ; qu’en conséquence, les députés et surtout les sénateurs en tant que représentants des Collectivités territoriales décentralisées selon l’article 81 de la Constitution peuvent assurer le suivi de l’usage des fonds par le Comité Local de Développement mais ne pas participer à la prise de décision ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’article 3 n’est pas conforme à la Constitution ;

Sur l’article 4 alinéa 2 de la loi

Considérant par ailleurs, qu’en vertu de l’article 34 de la loi organique n°2014-018 régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires « La Collectivité Territoriale Décentralisée est doté de la personnalité morale, de l’autonomie administrative et financière. Elle constitue une structure administrative distincte de l’Administration de l’Etat qui s’administre librement par des organes propres » ;

Considérant que l’article 4 alinéa 2 de la loi n°2015-025 dispose que « le représentant de l’Etat est l’ordonnateur secondaire. En tant que tel il contrôle la légalité de l’acte pris par le Comité Local de Développement » ;

Considérant que les attributions du représentant de l’Etat auprès des collectivités territoriales décentralisées sont limitativement énumérées par les articles 15 à 23 de la loi n°2014-021 relative à la représentation de l’Etat ; que la fonction d’ordonnateur secondaire ne figure pas parmi ces attributions ; qu’en conséquence la désignation de l’ordonnateur secondaire doit tenir compte des dispositions législatives en vigueur ;

En conséquence
DECIDE

Article premier – Sont contraires à la Constitution l’article 1 alinéa 2 et 3, les articles 2 et 3 de la loi n°2015-024.

Article 2- Sont conformes à la Constitution toutes les autres dispositions de la loi.

Article 3 – L’article 1 alinéa 2 et 3, les articles 2 et 3 étant des dispositions essentielles non détachables, la loi n°2015-024 ne peut être promulguée en l’état.

Article 4 – La première phrase de l’article 4 alinéa 2 de la loi doit être mise en conformité avec la loi n°2014-021 relative à la représentation de l’Etat.

Article 5 – La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République et notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale, au Premier ministre, Chef du Gouvernement.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le 26 décembre l’an deux mil quinze à huit heures trente, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller-Doyen ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;
Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haut Conseiller ;
Mr. DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.