La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la loi organique n°2004-007 du 26 juillet 2004 sur les lois de finances ;
Vu le Code général des impôts ;
Vu le Code des douanes ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
1. Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie le 23 décembre 2015 par le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, du texte de loi n°2015-050 du 15 décembre 2015 portant Loi de Finances pour 2016 ;
2. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ;que selon l’article 117 de la Loi fondamentale « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;
3. Considérant que les lois de finances sont des lois ordinaires, mais qui sont adoptées selon une procédure spéciale ; qu’il existe plusieurs types de loi de finances, qui font l’objet d’un vote du Parlement en tant qu’autorité budgétaire ; que selon l’article 2 alinéa 3 de la loi organique N°2004-007 sur les lois de finances, « la loi de Finances de l’année prévoit et autorise, pour chaque année civile, l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat » ;
4. Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite Loi de finances pour 2016 est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité;
AU FOND
5. Considérant, d’une part, que la matière objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu des articles 90, 95, 116 et 117 de la Constitution ; que d’autre part, l’Assemblée nationale a adopté la loi n°2015-050 lors de sa séance en date du 15 décembre 2015 ;
6. Considérant que le contrôle de constitutionnalité des lois de finances s’exerce en référence à la Constitution stricto sensu mais également à la loi organique sur les lois de finances, tel que prévu implicitement par l’article 90 de la Constitution ;
7. Considérant que selon l’article 42 de la loi organique N°2004-007 sur les lois de finances, « les Lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat.» ;que ce principe de sincérité budgétaire implique l’exhaustivité, la cohérence et l’exactitude des informations financières fournies par l’Etat ; que l’application de ce principe est cependant limitée par la nature prévisionnelle de la loi de finances ; que l’article 42 précité précise lui-même que « leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » ;que la loi n°2015-050 a respecté cette disposition avec les annexes au projet de Loi de Finances ;
8. Considérant que, en dehors de ce nouveau principe, la loi des finances reste soumise aux trois grands principes des finances publiques que sont le principe d’annualité, d’unité et d’universalité en tenant compte des aménagements prévus par la loi n°2004-007 ; que la loi n°2015-050 respecte ces principes ;
9. Considérant par contre qu’il n’appartient pas à la Haute Cour Constitutionnelle, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de même nature que celui du Parlement, de procéder éventuellement aux rectifications de la loi de finances;
Concernant l’article 6 de la loi
10. Considérant que l’article 6 de la loi de finances définit et énumère les institutions ainsi que les ministères pour lesquels il est ouvert, pour l’année budgétaire 2016, des crédits ; qu’à cet égard, outre la Présidence de la République, la Primature et les différents départements ministériels, le législateur par ledit article évoque le Sénat, l’Assemblée nationale, la Haute Cour Constitutionnelle et le Filankevitry ny Fampihavanana Malagasy, qui constituent tous des institutions et organes dont l’existence ainsi que le statut sont prévus par la Constitution ;
11. Considérant qu’aux fins de parachever de manière définitive le retour à l’ordre constitutionnel et compléter la mise en place des institutions et organes de la IVème République, le législateur a adopté la loi n°2015-020 du 19 octobre 2015 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission Electorale Nationale Indépendante » , qui a été installée officiellement le 12 novembre 2015 ;
12. Considérant qu’en indiquant, en son article 5 alinéa 2 que« l’organisation et la gestion de toutes les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale indépendante », la Constitution fait de l’indépendance de l’organe de gestion des élections qu’elle institue, une exigence de valeur constitutionnelle ; que la Cour de céans a, dans sa Décision n° 31-HCC/D3 du 16 octobre 2015 concernant la loi n°2015-020 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission Electorale Nationale Indépendante », apporté le sens qu’elle accorde à cette exigence de valeur constitutionnelle en soulignant que « la signification communément admise de la notion d’indépendance d’un organe de gestion des élections, telle que la Commission électorale nationale indépendante instituée par la loi sous examen, recèle deux dimensions distinctes, mais complémentaires ; celle, d’une part, de l’indépendance institutionnelle, ou organique qui s’apprécie principalement par rapport à l’Exécutif, celle, d’autre part, de l’indépendance substantielle ou matérielle, qui se rapporte aux attributions et à la nature des responsabilités confiées à la Commission » ;
13. Considérant, par ailleurs, qu’il revient au législateur de déterminer lui-même la nature des garanties nécessaires et requises pour organiser et sauvegarder l’indépendance de la Commission électorale ;
14. Considérant que dans sa dimension institutionnelle ou organique, l’indépendance de la Commission électorale est vérifiée à travers la personnalité juridique et l’autonomie administrative et financière qui lui sont conférées par l’article 2 de la loi n°2015-020 du 19 octobre 2015 sus-indiquée, et consolidée, pour ses aspects budgétaires et financières, par les dispositions de l’article 4 de la même loi aux termes desquelles le législateur a précisé que, « la Commission électorale nationale indépendante bénéficie annuellement d’une ligne budgétaire qui lui est propre, prévue par la loi de finances » ;
15. Considérant, en outre, que dès lors qu’il existe une prescription constitutionnelle, comme celle de l’article 5 alinéa 2 que le législateur est soumis à une véritable obligation de légiférer qui se traduit par une obligation de mettre en œuvre les principes et valeurs constitutionnels ; qu’il y est exigée de la loi concernée, qu’elle contienne les garanties propres à assurer l’effectivité des dispositions constitutionnelles ; qu’en conséquence, il ne peut pas priver de garanties légales la réalisation d’une exigence de valeur constitutionnelle, telle que celle énoncée par l’article 5 alinéa 2 de la Constitution ;
16. Considérant qu’aux termes du Document de performance en annexe à la loi n° 2015- 050 portant loi de finances 2016, le législateur tient compte de l’effectivité de la Commission électorale nationale indépendante en prévoyant, pour l’année 2016, d’une part, la mise en place et l’opérationnalisation de la Commission spéciale de sécurité au niveau de la Commission électorale nationale indépendante au titre des activités devant être réalisées par la Présidence de la République, et d’autre part, l’opérationnalisation de la Commission électorale parmi les activités concernant « les institutions déjà en exercice » que le ministère de la communication et des relations avec les institutions doit effectuer pour l’exercice budgétaire 2016 ;
17. Considérant toutefois qu’en omettant de faire figurer la Commission électorale nationale indépendante parmi les institutions et organes constitutionnels titulaires d’une ligne budgétaire, alors que cet exercice constitue une modalité de réalisation de la prescription constitutionnelle de l’indépendance budgétaire et financière de ladite Commission, le législateur n’a pas pleinement exercé sa compétence ; qu’il appartient au législateur d’œuvrer, dans les meilleurs délais, à mettre en place les conditions requises pour assurer et garantir l’indépendance budgétaire et l’autonomie financière de la Commission électorale nationale indépendante conformément aux dispositions de l’article 5 alinéa 2 de la Constitution, en lui faisant bénéficier d’une ligne budgétaire propre, prévue et inscrite dans la loi de finances 2016 ;que, dans la mise en œuvre du budget 2016, cette omission ne devra pas porter atteinte à l’indépendance financière de la CENI ;
18. Considérant que le principe de l’indépendance financière de la Commission électorale nationale indépendante doit être préservée ;
19. Considérant que selon l’article 3 de la Constitution, « la République de Madagascar est un Etat reposant sur un système de Collectivités Territoriales Décentralisées composées de Communes, de Régions et des Provinces dont les compétences et les principes d’autonomie administrative et financière sont garantis par la Constitution et définis par la Loi » ; que ce principe constitutionnel de la décentralisation doit se refléter au niveau de la Loi de finances ; que dans la loi n°2015-050 portant Loi de Finances pour 2016, le budget relatif à la décentralisation relève essentiellement de celui du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation ; que la répartition des ressources entre l’Etat et les collectivités territoriales décentralisées, prévue par l’article 146 de la Constitution, doit se faire sur la base de critères objectifs, équitables, non discriminatoires et sans considérations partisanes dans le cadre de la mise en œuvre de la Loi de finances ;
20. Considérant que toute autre interprétation de l’article 6 de la loi n°2015-050 sur la CENI et en matière de décentralisation est contraire à la Constitution ;
21. Considérant que les dispositions de la loi de finances déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la Constitution ;
En conséquence,
DECIDE
Article premier- Sous les réserves d’interprétation énoncées dans les considérants 16, 17, 18, 19 et 20 à l’endroit de l’article 6 dans la présente décision, les dispositions des autres articles de la loi n°2015-050 portant Loi de finances pour 2016 sont déclarées conformes à la Constitution et peuvent faire l’objet d’une promulgation.
Article 2- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République et notifiée au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le 26 décembre l’an deux mil quinze à huit heures trente, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président ;
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haut Conseiller-Doyen ;
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller ;
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haut Conseiller ;
Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller ;
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller ;
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haut Conseiller ;
Mr. DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller ;
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.