La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011 portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011 ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Considérant que par lettre n°044-CT/P/SG du 8 mai 2012, enregistrée au greffe le 9 mai 2012, le Président du Congrès de la Transition saisit la Haute Cour Constitutionnelle pour demander son avis sur des questions relatives à la légifération par voie d’ordonnance en période de transition ;

Considérant que dans la lettre suscitée, le Président du Congrès de la Transition expose :
Qu’à la lecture de la Constitution du 17 novembre 2010, le Président de la République signe les ordonnances prises en Conseil des Ministres dans les cas et les conditions prévus par les dispositions concernant la situation d’exception (art 61, al 3), la non adoption de loi organique (art 89-2), la non adoption de loi de finances (art 92, al 6), la délégation de pouvoir du Parlement (art 104), la mise en place des institutions et organes de la transition (art 165, al 2) ;

Qu’en outre, la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011 (J.O du 22 mars 2012) portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route, signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011 prévoit dans le point I.9 la compétence du Parlement de la Transition concurremment aux dispositions constitutionnelles en vigueur ;

Que l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle est alors sollicitée sur la question relative à la compétence du Président de la Transition à légiférer par voie d’ordonnance en dehors des cas et conditions sus énumérés ;

Qu’en effet, la décision n°05-HCC/D3 du 28 mars 2012 concernant une ordonnance modifiant certaines dispositions de la loi n°96-026 du 2 octobre 1996 portant statut général autonome des personnels de la Police Nationale et la décision n°08-HCC/D3 du 2 mai 2012 concernant une ordonnance relative à la délivrance de jugements supplétifs d’actes de naissance dans le cadre de l’opération carte nationale d’identité, ne constituent-elles pas de jurisprudences constitutionnelles autorisant le Président de la Transition à légiférer par voie d’ordonnance quand il le veut, sans tenir compte de l’existence du Parlement de la Transition prévue à l’article 166 de la Constitution ?

EN LA FORME :

Considérant qu’en application des dispositions de l’article 119 de la Constitution, le Président du Congrès de la Transition, en sa qualité de Chef d’institution, est habilité à consulter la Haute Cour Constitutionnelle pour donner son avis sur l’interprétation de dispositions de la Constitution ;

Que la saisine, régulière en la forme, doit être déclarée recevable ;

AU FOND :

Considérant d’emblée que la présente demande d’avis tend à éclaircir la question relative à la compétence concurrente dans la pratique normative en période de transition, entre le Président de la Transition qui exerce les fonctions de Chef de l’Etat, et le Parlement de Transition chargé de la proposition et de l’adoption de loi ;

Considérant que la répartition des compétences en matière de production législative, en période de transition, est régie à la fois par la Constitution promulguée le 11 décembre 2010 et par la Feuille de route signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011 et insérée dans l’ordonnancement juridique interne par la loi n°2011-014 du 28 décembre 2011 ;

Considérant que de la lecture de la lettre de saisine sus mentionnée, il ressort que la problématique juridique mise en exergue recouvre deux aspects fondamentaux de la pratique normative en période de transition, à savoir, d’une part, la délimitation de la légifération par voie d’ordonnance en dehors des cas et conditions énumérés par la Constitution et, d’autre part, la nécessité d’écarter l’usage abusif des ordonnances par respect du principe de la répartition des compétences établi par les normes juridiques en vigueur et des principes de consensualité et d’inclusivité, eu égard à la situation de transition ;

I-Du domaine de la légifération par voie d’ordonnance selon la Constitution :

Considérant que la Constitution a notamment prévu trois catégories de recours aux ordonnances, à savoir, en premier lieu le recours aux ordonnances sur la base d’une délégation de pouvoir accordée par le Parlement (article 104), en deuxième lieu l’emploi des ordonnances en vertu de pleins pouvoirs notamment en ce qui concerne le cas de situations d’exception, (article 61, alinéa 3), celui de la non adoption de projet de loi organique avant la clôture de session (article 89-2°), celui de la non adoption du projet de loi de finances avant la clôture de la seconde session (article 92, alinéa 7), et en troisième lieu, l’usage dérogatoire des ordonnances autorisé par la Constitution en son article 165, pour la mise en place des institutions et organes de la transition ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 55-2° de la loi fondamentale, « Le Président de la République signe les ordonnances prises en Conseil des Ministres dans les cas et les conditions prévus par la présente Constitution » et qu’en application des dispositions de l’article 117 de la Constitution, les ordonnances, avant leur promulgation sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution ;

Considérant en conséquence que d’une part, les ordonnances se caractérisent et se distinguent de la loi et du règlement par le fait qu’elles sont édictées par le pouvoir exécutif, en l’occurrence principalement par le Chef de l’Etat dont les fonctions sont exercées en période de transition, par le Président de la Transition, mais interviennent dans le domaine de la loi ;

Que d’autre part, l’affirmation de la valeur impérative et exécutoire des ordonnances n’est établie qu’après leur promulgation suite au contrôle de conformité à la Constitution effectuée par la Haute Cour Constitutionnelle ;

II-De la légifération par voie d’ordonnance en période de transition :

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 166 de la Constitution, en son alinéa 3, et du paragraphe 3 de la Feuille de Route pour la sortie de crise à Madagascar, le Président de la Transition exerce les fonctions de Chef de l’Etat ;

Qu’il en résulte que le Président de la Transition est l’autorité habilitée à légiférer par voie d’ordonnance dans les cas et conditions prévus par la Constitution ;

Considérant qu’aux termes du paragraphe 9 de la Feuille de Route fixant les attributions du Parlement de Transition : « Le Parlement de Transition sera chargé du contrôle du travail du Gouvernement de Transition. Le Parlement de Transition sera aussi chargé de la ratification des ordonnances adoptées pendant la transition, en particulier celles qui concernent le processus électoral, ainsi que de la proposition et de l’adoption de la législation pertinente » ;

Qu’il en résulte un pouvoir de légifération par voie d’ordonnance en période de transition sans que la Feuille de Route ne précise le champ d’application de ces ordonnances, à part les matières relevant du processus électoral ;

Considérant cependant que la Feuille de Route a expressément exclu du domaine des ordonnances et a attribué exclusivement à la compétence du Parlement de Transition : le fonctionnement, la composition, la compétence de la Cour Electorale Spéciale (§11) – les nouvelles règles sur les partis politiques et sur le statut de l’opposition (§12) – la mise en œuvre des règles se rapportant à la démission du Président de la Transition, du Premier Ministre de consensus et des membres du Gouvernement de leurs fonctions, soixante jours avant la date du scrutin s’ils décident de se porter candidats aux élections législatives et présidentielle (§14) – l’amnistie (§18) – le statut des anciens Chefs d’Etat (§19) – la composition, le fonctionnement, la gestion et la compétence du Filankevitry ny Fampihavanana Malagasy ou Conseil de la Réconciliation Malagasy (§25) ;

Considérant qu’ainsi, le pouvoir de légifération par voie d’ordonnance, en période de transition, s’étend à des matières qui ne relèvent pas de celles réservées exclusivement au Parlement de Transition sous réserve d’un acte de validation juridique qu’est la ratification ;

Considérant que la ratification, telle que prescrite par le paragraphe 9 de la Feuille de Route, constitue un contrôle politique exercé par le Parlement de Transition sur les actes du pouvoir exécutif et qui consiste uniquement à approuver ou à rejeter l’acte dans son intégralité ;

Considérant que l’acte de ratification contribue à l’harmonisation de la législation en période de transition en application des principes d’inclusivité et de consensualité requis pour la sortie de crise à Madagascar ;

Considérant cependant, qu’il y a lieu de constater qu’aucun texte n’a précisé ni la procédure d’intervention du Parlement pour la ratification, ni le moment de cette intervention à fixer préalablement ou ultérieurement au contrôle de conformité à la Constitution et à la promulgation, ni les effets de la ratification ;

Considérant qu’en tout état de cause, la Haute Cour Constitutionnelle est tenue d’exercer le contrôle de conformité à la Constitution des ordonnances prises et ce, en vertu des dispositions de l’article 117 de la Constitution ;

En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :

Article premier.- Le Président de la Transition, outre dans les cas et conditions énumérés par la Constitution, notamment en ses articles 61, 89, 92 et 104, est habilité à légiférer par voie d’ordonnance, à titre dérogatoire, pour la mise en place des institutions et organes de la transition en vertu de l’article 165 de la Constitution et pour les matières relevant du processus électoral tel que prescrit par le paragraphe 9 de la Feuille de Route pour la sortie de crise à Madagascar.

Article 2.- Les ordonnances prises par le Président de la Transition en dehors des cas exclusivement réservés au Parlement de Transition, sont soumis à la ratification du Parlement de Transition, par respect des principes d’inclusivité et de consensualité requis pour la sortie de crise à Madagascar.

Article 3.– Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi dix mai l’an deux mil douze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef