La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1. Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle a été saisie par le Président de la République par lettre n°46-PRM/SG/DEJ-16 du 15 juillet 2016, reçue et enregistrée au greffe le même jour, pour soumettre au contrôle de constitutionnalité, préalablement à sa promulgation, la loi n°2016-004 portant statuts de la Banque Centrale de Madagascar ;

2. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que selon l’article 117 de la Loi fondamentale « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

3. Considérant que selon l’article 95.I.4° de la Constitution, « outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la Banque centrale et le régime d’émission de la monnaie » ; que la loi n°2016-004 est donc une application de cette prescription constitutionnelle ;

4. Considérant qu’il résulte des dispositions sus rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ;

AU FOND

5. Considérant, d’une part, que la matière objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité relève du domaine législatif en vertu de l’article 95.I.4 de la Constitution qui dispose expressément que « La loi fixe les règles concernant … la Banque Centrale et le régime d’émission de la monnaie » ;

6. Considérant, d’autre part, que le Sénat et l’Assemblée Nationale ont adopté en leurs séances respectives en date du 28 juin 2016 et du 29 juin 2016 la loi déférée au contrôle de constitutionnalité ;

7. Que la loi n° 2016-004 portant statuts de la Banque Centrale de Madagascar sus citée comporte des sous titres intitulés respectivement « Dispositions générales », « Fonctions de la Banque Centrale », « Structure et organisation de la Banque Centrale », « Dispositions diverses », « Dispositions transitoires et « Dispositions finales » ;

Sur les attributions de la Banque Centrale

8. Considérant que la loi déférée dispose à son article 64 alinéa 5 que « le Comité Exécutif établit et soumet pour approbation du Conseil d’administration les propositions relatives aux attributions de la Banque Centrale suivantes :

• la définition de la politique monétaire et des modalités de sa mise en œuvre ;
• la définition et la mise en œuvre de la politique de change ; […] »

9. Considérant qu’aux termes de l’article 55.6° de la Constitution, « le Président de la République […] détermine et arrête, en Conseil des ministres, la politique générale de l’Etat » ; que selon l’article 63 alinéa 2, le Gouvernement « met en œuvre la politique générale de l’Etat » ; que l’article 65.1° précise que : « le Premier ministre, chef du Gouvernement conduit la politique générale de l’Etat » ;

10. Considérant que la définition de la politique monétaire est un élément essentiel et indissociable de la politique économique générale dont la détermination incombe au Président de la République en Conseil des ministres et la conduite au Gouvernement, sous la direction du Premier ministre, en vertu des dispositions constitutionnelles précitées ;

11. Considérant que selon le second alinéa de l’article 7 de la loi n°2016-004, « à ce titre, ni la Banque Centrale, ni un membre de ses organes de décision ne peut ni solliciter ni accepter des instructions émanant soit d’une Autorité soit d’une entité quelconque » ;

12. Considérant qu’il ressort des dispositions précitées que la Banque Centrale est chargée, par l’organe du Comité exécutif, de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire et la politique de changes de Madagascar ; que l’article 5 alinéa 2 de la loi déférée énonce que « la Banque Centrale soutient la politique économique générale du Gouvernement » ; que les dispositions de la loi, en tant qu’elles concernent la définition de la politique monétaire et de son but et qu’elles proscrivent toute instruction de toute Autorité et donc des organes de l’Exécutif, méconnaissent la compétence de ces derniers pour déterminer et conduire la politique de la Nation et celle du Premier ministre pour diriger son action ; que par suite, doit être déclaré non conforme à la Constitution le mot « définition » au cinquième alinéa de l’article 64 ; qu’il serait approprié d’utiliser les termes « élaboration » ou « conception » ;

13. Considérant par contre que les dispositions invoquées de la Constitution n’interdisent pas que soit confiée à la Banque Centrale la mise en œuvre de la politique monétaire et de la politique de changes ; qu’à cette fin, elle est chargée de surveiller l’évolution de la masse monétaire et de ses contreparties ; que doivent être assurées aux membres du Comité exécutif et du Conseil d’administration des garanties d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions ; que sous cette dernière réserve d’interprétation, les dispositions ci-dessus analysées de la loi ne méconnaissent pas les articles 55.6°, 63 alinéa 2 et 65.1° de la Constitution ;

Sur la responsabilité des dirigeants de la Banque Centrale

14. Considérant que l’article 81 de la loi n°2016-004 prévoit l’immunité ; que cette disposition légale dispose que « Dans ce contexte, la responsabilité personnelle du Gouverneur, des Vice-gouverneurs et des Administrateurs ne peut être engagée que pour crime, fraude ou négligence grave » ; que cette immunité prévue par l’article 81 sus citée écarte les cas de délit et de contravention ;

15. Considérant, cependant, qu’aux termes de l’article 07 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, faisant partie du bloc constitutionnalité : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi » ; que cependant, le Gouverneur, les Vice-gouverneurs et les Administrateurs, doivent être protégés dans l’exercice de leur mission ; que dans les limites de cette dernière, ils jouissent d’une immunité balisée ; que cette relative immunité apparaît comme une contrepartie de l’accomplissement de la mission ; que l’immunité personnelle précitée fait l’objet d’une formulation restrictive ; qu’elle est exclue pour crime, fraude ou négligence grave ;

16. Considérant par ailleurs que la Banque Centrale étant une personne morale publique, elle est soumise au régime de la responsabilité de l’administration et des agents de l’administration ; que la responsabilité personnelle de l’agent s’applique au Gouverneur, aux Vice-gouverneurs et aux administrateurs et ne joue qu’un rôle restreint ;

Sur l’indépendance de la Banque Centrale

17. Considérant que le Préambule de la Constitution, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité, pose le principe de « la bonne gouvernance dans la conduite des affaires publiques, grâce à la transparence de gestion et la responsabilisation des dépositaires de la puissance publique ; que la loi déférée impose la bonne gouvernance de la Banque Centrale en reprenant les standards internationaux des institutions financières que sont l’indépendance, la transparence et la redevabilité ;

18. Considérant que, aujourd’hui, les banques centrales sont indépendantes des gouvernements ; que la notion d’indépendance appliquée à une banque centrale recouvre à la fois une dimension politique et une dimension économique ; que l’indépendance politique traduit l’absence d’interférences du pouvoir politique sur les décisions prises par la banque centrale mais aussi l’absence d’influence de celui-ci sur l’organisation institutionnelle de la banque ; que l’indépendance économique traduit à la fois le libre choix des objectifs fixés et des instruments utilisés par la banque centrale mais aussi l’impossibilité de financer le déficit budgétaire des gouvernements par la création monétaire ;

19. Considérant que la loi n°2016-004 reprend les standards internationaux des institutions financières que sont l’indépendance institutionnelle et opérationnelle de la Banque Centrale de Madagascar (article 7), l’indépendance financière (article 4 alinéa 5, articles 35 et 90), l’indépendance personnelle (article 51 et suivants) ;

20. Qu’il est expressément rappelé par l’article 51 in fine que « aucune entité ni personnalité, autre que celle habilitée par la présente loi, ne peut s’immiscer dans les missions dévolues aux organes de décision » ; que l’article 7 de la loi déférée précise que « à ce titre, ni la Banque Centrale, ni un membre de ces organes de décision ne peut ni solliciter ni accepter des instructions émanant soit d’une Autorité soit d’une entité quelconque » ;

21. Considérant cependant que l’article 24 de la loi n°2016-004 dispose que « dans le cadre de ses fonctions de banquier de l’Etat et sur ordre du Ministre en charge des Finances, à travers le Trésor public […] » ; que le terme « ordre » à connotation hiérarchique porte atteinte au principe d’indépendance posé par la loi déférée ; qu’en conséquence, il ne peut s’agir que d’une simple demande ;

22. Considérant que d’après l’article 8 alinéa premier de la loi déférée, « l’Ariary est l’unité monétaire de la République de Madagascar » ; que l’article 9 dispose que « la Banque Centrale exerce seule le privilège d’émettre des billets de banque et des pièces de monnaie. Ces billets et pièces de monnaie ont seuls cours légal sur le territoire de la République de Madagascar » ; qu’il en résulte que les transactions et tarifications à Madagascar doivent être libellées en Ariary ;

En conséquence,
Décide :

Article premier.– Est déclaré contraire à la Constitution le mot « définition » au cinquième alinéa de l’article 64.

Article 2.-Sous les réserves d’interprétation posées aux Considérants 21 et 22, les dispositions de la loi n°2016-004 portant statuts de la Banque Centrale de Madagascar sont conformes à la Constitution.

Article 3- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi vingt juillet l’an deux mil seize à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haute Conseillère
Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Mr TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Mr DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Mme RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.