La Haute Cour Constitutionnelle

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi Organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi organique n° 2014-018 régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées ainsi que celles de la gestion de leur propres affaires ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à  la loi ;

EN LA FORME

  • Considérant que par lettre n°50-PRM/SG/DEJ-16 du 20 juillet 2016, Le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, saisit la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité, préalablement à sa promulgation, de la loi n° 2016-008 autorisant la ratification par Madagascar de la Charte Africaine des Valeurs et des Principes de la Décentralisation, de la Gouvernance Locale et du Développement Local ;
  • Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements  autonomes » ; qu’aux termes de l’article 137 alinéa 3, « avant toute ratification, les traités sont soumis par le Président de la République, au contrôle de constitutionnalité de la Haute Cour Constitutionnelle » ;
  • Considérant que le Sénat et l’Assemblée nationale ont adopté la loi n° 2016-008, lors de leurs séances respectives du 29 juin 2016 et du 30 juin 2016 ; qu’ainsi, la loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République doit être déclarée recevable ;

AU FOND

  • Considérant qu’il y a lieu d’apprécier la conformité à la Constitution de la « Charte africaine des valeurs et principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local », qui constitue l’objet de l’autorisation de ratification de la présente loi ; que ladite Charte a été adoptée le 27 juin 2014, à Malabo (Guinée- Equatoriale) lors de la 23ème session ordinaire de la conférence des Chefs d’Etat et du Gouvernement de l’Union Africaine. ; qu’elle vise à promouvoir, renforcer et consolider la décentralisation, la gouvernance locale et le développement local ;
  • Considérant, d’une part, que la matière objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu de l’article 137, alinéa 2, de la Constitution qui dispose que « La ratification ou l’approbation de traités d’alliance, de traités de commerce, de traités ou d’accords relatifs à l’organisation internationale, de ceux qui engagent les finances de l’Etat, et de ceux qui modifient les dispositions de nature législative, de ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, des traités de paix, de ceux qui comportent modification de territoire, doit être autorisée par la loi. »
  • Considérant, d’autre part, que la Constitution de la Quatrième République prévoit en son article 137 alinéa 4 que « les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie »; que le rang des normes internationales dans la hiérarchie des normes est ainsi clairement défini par la Loi fondamentale ; qu’elles sont subordonnées à la Constitution, puisqu’elles ne peuvent produire d’effets juridiques si elles lui sont contraires ; qu’elles ont par contre une valeur supérieure à la loi, dès lors qu’elles ont été ratifiées ;

Sur les valeurs fondamentales

  • Considérant que les valeurs qui inspirent la Charte Africaine susmentionnée se fondent sur un esprit de participation citoyenne, la solidarité, le respect des droits de l’homme, la bonne gouvernance et ne méconnaissent aucune disposition constitutionnelle ;

Sur  les principes

  • Considérant que la Constitution prévoit dans son Préambule « la mise en œuvre de la décentralisation effective, par l’octroi de la plus large autonomie aux collectivités décentralisées tant au niveau des compétences que des moyens financiers »; que l’article 3 de la Loi fondamentale dispose que « la République de Madagascar est un Etat reposant sur un système de Collectivités territoriales décentralisées composées de Communes, de Régions et de Provinces dont les compétences  et les principes d’autonomie administrative et financière sont garantis par la Constitution et définis par la loi » ;
  • Considérant que le titre V de la Constitution relatif à l’organisation de l’Etat établit les dispositions générales et les structures concernant la décentralisation ;
  • Considérant que la Charte, objet de la loi déférée, pose  des principes pour promouvoir, renforcer et consolider la décentralisation, la gouvernance locale et le développement local en Afrique dont Madagascar ; que selon les dispositions de la Charte, les gouvernements locaux ont, conformément à la législation nationale, le pouvoir de gérer, de manière responsable et transparente leur administration et leurs finances à travers des assemblées délibératives et des organes exécutifs démocratiquement élus ; que des normes et des règles fixent le fonctionnement, l’organisation, les ressources, les compétences, les modalités d’élection  des autorités locales, la participation citoyenne ,  ainsi que le système de suivi et d’évaluation des activités des responsables locaux ;

Sur le partenariat

  • Considérant par ailleurs que la Charte, en son article 17 , pose le principe de libre partenariat , coopération des gouvernements locaux ou autorités locales avec les gouvernements locaux d’autres pays ; que les gouvernements locaux ou associations des gouvernements au niveau local sont libres d’adhérer aux associations régionales ,continentales et mondiales des gouvernements locaux ;
  • Que suivant l’esprit de la Charte, les gouvernements ou autorités locales disposent d’une grande autonomie dans le domaine de la coopération et partenariat avec les gouvernements locaux et autorités locales d’autres pays ;
  • Considérant, toutefois, que pour le cas de Madagascar, les formes de coopération ou de partenariats  sont fixées par la Loi Organique n° 2014-018 régissant les compétences, les modalités d’organisation et de fonctionnement des Collectivités Territoriales Décentralisées, ainsi que celles de la gestion de leurs propres affaires ; qu’aux termes de l’article 20 , alinéa premier de ladite Loi Organique « sous réserve des engagements internationaux de Madagascar et dans les limites de leurs compétences fixées par les lois et règlements en vigueur, les Collectivités Territoriales Décentralisées et/ou leurs groupements peuvent conclure des conventions avec les Collectivités Territoriales Décentralisées étrangères et/ou leur groupements pour mener des actions de coopération » ; qu’en son alinéa 2, ladite loi Organique stipule que « les modalités d’application du présent article sont fixées par voie réglementaire » ;
  • Qu’ainsi, la marge de manœuvre des autorités locales et des gouvernements locaux, en ce qui concerne la coopération avec les gouvernements ou autorités locales des pays étrangers ont un caractère restrictif, contrairement aux dispositions de la Charte Africaine qui posent le principe de libre coopération et partenariat ;
  • Considérant qu’aucune des dispositions de la « Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local » n’est contraire à la Constitution ; que pour les motifs ci-dessus évoqués, l’autorisation de ratifier la Charte n’exige pas de révision de la Constitution ;
  • Considérant qu’en conséquence, après ratification, les textes à valeur législative et règlementaires relatifs à la décentralisation doivent être mis en conformité avec la « Charte africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local » ; que la Charte sera une norme de référence pour la Haute Cour Constitutionnelle dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des textes à valeur législative et pour le Conseil d’Etat et les Tribunaux administratifs dans le cadre du contrôle de légalité des textes à valeur règlementaire ;

EN CONSEQUENCE

DECIDE :

Article premier- La Charte Africaine des Valeurs et des Principes de la Décentralisation, de la Gouvernance Locale et du Développement Local ainsi que la loi n°2016-008 autorisant la ratification de ladite Charte, sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 2 –  Après ratification et entrée en vigueur, les textes à valeur législative et règlementaires relatifs à la décentralisation doivent être mis en conformité avec la Charte.

Article 3 – La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi  vingt-neuf juillet l’an deux mil seize à quatorze heures trente minutes, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr  RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne

Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haute Conseillère

Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller

Mr TIANDRAZANA  Jaobe Hilton, Haut Conseiller

Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère

Mr  DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller

Mme RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère

Mr  ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.