La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu la Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption du 11 juillet 2003 et la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la corruption du 31 octobre 2003 ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la loi n°2004-030 du 09 septembre 2004 sur la lutte contre la corruption ;
Vu la loi n°2003-036 du 30 janvier 2003 sur les sociétés commerciales ;
Vu le Code pénal et celui de la procédure pénale malagasy ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME

1. Considérant que conformément aux dispositions de l’article 117 alinéa premier de la Constitution, par lettre n°53-PRM/SG/DEJ-16 du 20 juillet 2016, reçue et enregistrée au greffe le 21 juillet 2016, la Haute Cour Constitutionnelle est saisie par le Président de la République, pour soumettre au contrôle de constitutionnalité, préalablement à sa promulgation, la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption ;

2. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ;

3. Considérant que la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances respectives du 1er juillet 2016 ;

4. Considérant que la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption est soumise obligatoirement au contrôle de constitutionnalité suivant les dispositions constitutionnelles sus visées ;

5. Considérant qu’ayant ainsi respecté ces dispositions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité des lois, la saisine est recevable ;

AU FOND

6. Considérant que la loi soumise au contrôle de constitutionnalité relève du domaine législatif, conformément à l’article 95.8 de la Constitution qui stipule que « La loi fixe (…) l’organisation, le fonctionnement et les attributions de l’Inspection Générale de l’Etat et des autres organes de contrôle de l’Administration » ;

7. Considérant que la lutte contre la corruption a été lancée à Madagascar à travers la signature de la loi n°2004-030 du 09 septembre 2004 sur la lutte contre la corruption, après l’adoption de la Convention des Nations Unies contre la corruption et la Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, ratifiées respectivement le 22 septembre 2004 et le 06 octobre 2004 ;

8. Considérant qu’en dépit de l’adoption de cette loi, ayant constaté que le fléau de la corruption subsiste encore, gagne du terrain dans un contexte généralisé et reste toujours identifiée comme étant le premier obstacle au développement de Madagascar, la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption a adopté une nouvelle stratégie pour la combattre ; que cette loi nouvelle prévoit trois titres dont la prévention et la répression de la corruption, le cadre institutionnel et les dispositions finales ;

Sur la prévention de la corruption

9. Considérant que l’obligation de déclaration de patrimoine des hautes personnalités et des hauts fonctionnaires ainsi que les modalités à suivre relatives à cette obligation, n’ont subi que peu de changement par rapport à la loi ancienne et au décret n°2004-983 du 12 octobre 2004 abrogeant et remplaçant le décret n°2002-1127 du 12 septembre 2002 instituant une obligation de déclaration de patrimoine par certaines catégories de hautes personnalités et hauts fonctionnaires ;

10. Considérant qu’aux termes de l’article 2 alinéa 4 de la loi n°2016-020, « les assujettis régis par les articles 40 et 41 de la Constitution déposent leur déclaration de patrimoine et d’intérêts économiques à la Haute Cour Constitutionnelle et en adressent une copie au BIANCO » ; qu’aux termes de l’article 41 alinéa 2 de la Constitution, « préalablement à l’accomplissement de fonctions ou de missions et à l’exercice d’un mandat, toutes les personnalités visées au précédent alinéa déposent auprès de la Haute Cour Constitutionnelle une déclaration de patrimoine » ; que la Loi fondamentale ne prévoit pas d’envoi de copie à une quelconque entité ; qu’en conséquence les termes « et en adressent une copie au BIANCO » ne sont pas conformes à la Constitution ;

11. Considérant, par ailleurs, que pour plus de transparence, une politique de lutte contre la corruption doit être mise en place obligatoirement au niveau du fonctionnement et les procédures à suivre au sein des ministères, administrations générales déconcentrées et décentralisées et établissements publics ; que la loi n°2016-020 prévoit, en cas de manquement à cette obligation, de tenir comme responsables administrativement et personnellement des dommages causés, les personnalités visées à l’alinéa 2 de l’article 2 de la même loi ;

12. Considérant que pour combattre la corruption, la lutte contre la corruption doit impliquer non seulement les Institutions mais aussi les acteurs non-étatiques, y compris le secteur privé, la société civile, les médias et surtout tous les citoyens ; que cette lutte doit être insérée dans les programmes scolaires ;

13. Considérant que, à l’exception de la disposition soulevée au Considérant 10, l’étude de ces dispositifs de prévention de la corruption ci-dessus énoncés n’a fait apparaître aucune disposition contraire à la Constitution ;

14. Considérant qu’aux termes de l’article 9 de la loi présentement soumise au contrôle de constitutionalité « L’exercice d’un mandat électif ou d’une fonction aux hauts emplois de l’Etat est incompatible avec une poursuite pénale pour l’une quelconque des infractions prévues à la présente loi.
Tout agent public tel que défini à l’article premier de la présente loi, doit être suspendu de ses fonctions ou de son mandat jusqu’à une décision définitive de justice, nonobstant le principe de présomption d’innocence (…).
Toute personne bénéficiant d’une relaxe ou d’un acquittement au bénéfice du doute dans une décision définitive de justice ne doit plus être nommée à un poste de responsabilité » ;
15. Considérant que selon les dispositions de l’article 27 alinéa 2 de la Constitution, « l’accès aux fonctions publiques est ouvert à tout citoyen sans autres conditions que celles de la capacité et des aptitudes » ; que l’article 13 alinéa 8 de la Constitution de stipuler que « Tout prévenu ou accusé a droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une décision de justice devenue définitive (…) » ;
16. Considérant que les fonctions relatives à un mandat électif et celles de hauts emplois de l’Etat font parties intégrantes des fonctions publiques; que les conditions exigées par les dispositions de la Constitution qui viennent d’être citées, pour pouvoir exercer ces fonctions, ne sont que « la capacité et les aptitudes » ; que le seul fait d’être poursuivi par l’une des infractions prévues par la loi n° 2016-020, sans qu’une condamnation définitive soit prononcée, n’enlève pas le droit de tout un chacun d’accéder à une fonction publique quelle qu’il soit ; que tout prévenu ou accusé est présumé innocent tant qu’il n’est pas reconnu coupable par une décision de justice devenue définitive ; que la sanction de suspension prise à l’encontre de l’agent porte atteinte au principe de la présomption d’innocence prescrite par les dispositions constitutionnelles visées plus haut ; qu’une loi ordinaire ne peut aller à l’encontre d’une disposition de la Constitution ;
17. Considérant par ailleurs qu’une personne faisant l’objet d’une décision de relaxe ou d’acquittement au bénéfice du doute est supposée ne jamais être condamnée; que lui refusant l’opportunité d’être nommée à un poste de responsabilité en raison d’une décision de relaxe ou d’acquittement au bénéfice du doute, s’apparente à une interdiction d’accéder aux fonctions publiques, contrairement aux prescrits de l’article 27 alinéa 2 de la Constitution sus cité ;

18. Considérant qu’il en résulte que les dispositions de l’article 9 de la loi n° 2016 – 020 doivent être déclarées non conformes à la Constitution ;

Sur l’article 8 de la loi
19. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la loi déférée, « il est inséré dans les programmes scolaires un curricula de formation et d’éducation sur la lutte contre la corruption depuis l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire » ; que cette disposition entre dans le cadre de la promotion et du renforcement des mesures visant à prévenir et combattre la corruption de manière plus efficace ; que le système éducatif constitue un tout ; qu’en conséquence le programme de lutte contre la corruption devrait concerner également l’enseignement supérieur ;
Sur les amendements relatifs à certaines dispositions du Code pénal
20. Considérant que la loi sus visée modifie de nouveau les dispositions des articles 169 à 183 ainsi que celles des articles 373 à 375 du Code pénal afin de mettre à jour les peines correspondant aux infractions y nouvellement insérées permettant de poursuivre et de réprimer effectivement la corruption et afin de dissuader tout un chacun de commettre les délits de la corruption et assimilés ;
21. Considérant que désormais, le délit d’abus de biens sociaux, ceux de détournement de deniers public et privés sont considérés par la loi n°2016-020 sur la corruption comme des délits de corruption ;
22. Considérant que les amendements apportés à certaines dispositions du Code ainsi que l’introduction de nouvelles infractions à ces dispositions sont l’application des prescriptions de l’article 95.8° de la Constitution qui énoncent que « (…), la foi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’amnistie (…) ;
23. Considérant qu’il convient ainsi de déclarer ces amendements et insertions conformes à la Constitution ;
24. Considérant que la loi n” 2016 – 020 relative à la lutte contre la corruption prévoit des clauses de protection des témoins et dénonciateurs en ses articles 56 à 58; que ces clauses sont incomplètes par rapport aux exigences de l’article 32 de !a Convention des Nations Unies ; qu’elles n’incluent ni les victimes, ni les parents et d’autres personnes qui sont proches des témoins parmi les personnes à protéger; qu’une mise en place d’une structure chargée de cette protection , de ce fait, s’impose ; qu’il est peu probable que les citoyens prendraient le risque de dénoncer un acte de corruption s’ils n’étaient pas sûrs d’être protégés contre d’éventuelles représailles de la part des personnes dénoncées ;
25. Considérant que corrélativement à l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 9 de la loi n° 2016 – 020 sur la lutte contre la corruption, celles de l’article 59 de la même loi sont devenues ainsi sans objet ;
Sur la prescription de l’action publique
26. Considérant que, dans sa rédaction, l’article 10 de la loi déférée dispose que « sans préjudice de l’application des articles 3 et 4 du Code de procédure pénale malagasy, la prescription des infractions de fraudes, notamment le faux en écriture authentique, faux en écriture publique et privée, les infractions d’abus de biens sociaux, de blanchiment de capitaux, ainsi que les infractions énumérées dans la présente loi, court à partir de la date de découverte de l’infraction ou à partir de la date à laquelle la constatation de l’infraction a été rendue possible » ; que d’après l’article 29 de la Convention des Nations Unies contre la corruption, « lorsqu’il y a lieu, chaque Etat Partie fixe, dans le cadre de son droit interne, un long délai de prescription dans lequel des poursuites peuvent être engagées du chef d’une des infractions établies conformément à la présente Convention et fixe un délai plus long ou suspend la prescription lorsque l’auteur présumé de l’infraction s’est soustrait à la justice » ; que l’article 137 alinéa 4 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » ; qu’en conséquence l’article 10 précité devrait prendre en compte l’article 29 de la Convention des Nations Unies ;
Sur le cadre institutionnel
27. Considérant que l’article 40 de la loi 2016-020 énumère les entités en charges de la politique nationale de la lutte contre la corruption dont. :
– Le Comité pour la Sauvegarde de l’Intégrité (CSI) ;
– Le Bureau Indépendant Anti-Corruption (BIANCO) ;
– Les Pôles Anti-Corruption (PAC) ;
-Le Sampandraharaha Malagasy ladiana amin’ny Famotsiam-bola sy ny Fampihorohoroana (SAMIFIN) ;
28. Que chacune de ces entités a ses missions, pouvoirs et obligations respectifs dans la stratégie de la lutte contre la corruption lesquels sont bien définis par les articles 41 et suivants de la loi soumise au présent contrôle de constitutionalité ;
29. Considérant qu’aucune contradiction avec la Constitution n’est décelée sur l’examen de ces missions, pouvoirs et obligations des entités en charge de la lutte contre la corruption ;

En conséquence,
Décide :

Article premier.- Sont contraires à la Constitution les mots « et en adressent une copie au BIANCO », figurant à l’alinéa 4 de l’article 2 de la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption.
Article 2.– Les dispositions de l’article 9 de la loi n°2016-020 sur la lutte contre la corruption ne sont pas conformes à la Constitution.
Article 3.- Sous les réserves des Considérants 19, 24, 25 et 26, toutes les autres dispositions de cette même loi sont déclarées conformes à la Constitution.

Article 4.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi cinq août l’an deux mil seize à quatorze heures trente, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne
Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haute Conseillère
Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Mr TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Mr DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Mme RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Mr ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.