La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948;

Vu  Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques du 19 décembre 1966;

Vu  la Charte Africaine des  droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001  portant loi  organique   relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu le Code pénal  et le Code de procédure pénale ;

Vu le Code du travail ;

Vu la loi n°2003-036 du 30 janvier 2003 sur les sociétés commerciales ;

Les rapporteurs ayant été entendus ;

Après  avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

  • Considérant que suivant lettre n°63/PRM/SG/DEJ-16 du 29 juillet 2016, le Président de la République saisit la Haute Cour Constitutionnelle, conformément  aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi n°2016-029  portant Code de la communication médiatisée ;

 

  • Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle  « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que  l’article 117  de la Loi Fondamentale  dispose : «  avant leur promulgation,  les lois organiques  , les lois  et  les ordonnances  sont soumises obligatoirement par  le Président de la   République  à  la Haute  Cour  Constitutionnelle qui  statue  sur  leur conformité  à  la Constitution » ;

 

  1. Considérant que  l’Assemblée Nationale et  le Sénat ont  adopté la loi n°2016-029 respectivement en  leurs séances en date du 13 juillet 2016 et 14 juillet 2016
  1. Considérant que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République est dès lors régulière et recevable ;

AU FOND

  1. Considérant que la matière, objet de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu de l’article 95.I.1 de la Constitution qui dispose que « La loi fixe les règles concernant les droits civiques, les garanties fondamentales accordées aux individus, aux associations, partis politiques et à tout autre groupement pour l’exercice des droits et libertés ainsi que leurs devoirs et obligations» ;

Concernant l’étendue et le mode d’exercice du contrôle de constitutionnalité effectués par le juge constitutionnel

  1. Considérant d’emblée que, quelle que soit l’intensité des débats qui ont entouré l’élaboration et l’adoption d’un texte de loi, l’office du juge de la Haute Cour Constitutionnelle dans le contrôle de constitutionnalité de la loi tel qu’il est prescrit par la Constitution, et complété par l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle, est circonscrit de manière précise et restrictive ;
  1. Qu’à cet effet, les dispositions des articles 116-1° et 117 de la Constitution ne confèrent pas à la Cour de céans un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il n’appartient pas à la Haute Cour Constitutionnelle, dans l’accomplissement du contrôle de constitutionnalité des lois qui lui sont soumises, de substituer sa propre appréciation à celle du législateur ;
  1. Considérant que, dans la mise en œuvre de la compétence d’attribution qui lui est conférée et dans l’accomplissement de cette mission spécifique que lui impose la Constitution, la Cour de céans ne saurait rechercher l’opportunité des objectifs et des finalités que le législateur s’est assigné, dès lors que leur teneur et les modalités retenues par la loi pour les exprimer ne sont pas manifestement inappropriées au regard des exigences de la Constitution, et que dans leur matière, ces objectifs soient conformes aux prescriptions de celle-ci ;

Sur les normes de référence

  1. Considérant qu’en vertu de l’article 95.I.1° de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux individus, associations, partis politiques et à tout autre groupement pour l’exercice des droits et des libertés ainsi que leurs devoirs et obligations » ; que l’article 7 de la Loi fondamentale dispose que « les droits individuels et les libertés fondamentales sont garantis par la Constitution et leur exercice est organisé par la loi » ; qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis ;
  1. Considérant que le Préambule de la Constitution reconnaît que Madagascar fait sienne « la Charte internationale des droits de l’homme », qui comprend la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et pose que « toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen que ce soit » ; qu’il en est de même de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
  1. Considérant que l’article 137 alinéa 4 de la Constitution prévoit que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » ; que la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ont été ratifiés par Madagascar et font partie intégrante de son ordre juridique interne ; qu’en conséquence, ils ont une autorité supérieure à la loi déférée ;

Sur le droit à l’information

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 11 alinéa premier de la Constitution, « tout individu a droit à l’information » ; que le droit à l’information recouvre deux droits indissociables : le droit d’informer, c’est-à-dire de produire des informations, et celui d’être informé, c’est-à-dire de disposer de ces informations ; que ces droits supposent que soient garantis les moyens de les exercer ;

Concernant les caractères de la liberté d’expression, de communication

  1. Considérant que le régime de la loi n°2016-029 portant Code de la communication se fonde pour l’essentiel sur les principes inhérents à la liberté d’expression et de communication tel qu’il ressort de l’ensemble des dispositions de ladite loi; qu’aux termes de l’article 5 de celle-ci, le législateur souligne que, « le droit à la liberté d’expression est un droit universel, inviolable et inaltérable, garanti par l’article 11 de la Constitution qui s’exerce conformément aux dispositions du Pacte International des Droits Civils et Politiques, aux autres conventions s’y rapportant, adoptées par l’Etat. C’est le droit de rechercher, de recevoir et de communiquer librement des informations et des opinions quel que soit le média utilisé »;
  1. Considérant qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, la liberté d’expression et de communication, garantie par l’article 10 de la Constitution, implique la liberté d’accéder à internet ;
  1. Considérant que la liberté d’expression et de communication représente un acquis constitutionnel important, d’autant plus précieux que son exercice est une condition de la démocratie et constitue l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés ainsi que de la souveraineté nationale ; qu’en outre, en garantissant la clarté du débat démocratique, la liberté de l’expression sous toutes ses formes contribue au respect du principe de prééminence du droit et, comprenant, par ailleurs, en son sein la protection de la liberté d’opinion, d’information et de réception de l’information, elle apparaît, à bien des égards, comme étant l’un des fondements les plus importants d’une société démocratique;
  1. Considérant néanmoins qu’aux termes mêmes de l’article 10 de la Constitution, s’il est indiqué que « les libertés d’expression, de communication(et) de presse », au même titre que les libertés d’opinion, d’association, de circulation, de conscience et de religion, « sont garanties à tous », le même article souligne que l’exercice de ces libertés ne peut être « limité que par le respect des libertés et droits d’autrui, et par l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat »; que ce faisant, le constituant souligne que ces libertés ne sont ni générales, ni absolues, et doivent faire l’objet d’une conciliation avec d’autres exigences constitutionnelles ; que si la liberté d’expression n’est pas absolue, il en est ainsi de chacune de ses composantes, que ce soit la liberté de la presse ou l’accès à l’information ;
  1. Considérant que cette conception selon laquelle « la liberté d’expression n’est pas absolue et n’équivaut pas à laisser entendre que tout est permis » n’est pas propre au régime constitutionnel malgache, et que le droit comparé renseigne qu’elle est largement partagée et consacrée par de nombreuses juridictions constitutionnelles  dont notamment la Cour d’arbitrage de Belgique (29 novembre 2000 / 124/2000) ; la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (Session plénière du 2 décembre 2005 / AP-1005/04), la Cour constitutionnelle de Lettonie (29 octobre 2003 / 2003-05-01), la Cour constitutionnelle de Lituanie (19 décembre 1996 / 3/96) ou la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Première chambre du premier sénat / 26082003/ 1 BvR 2243/02) ;
  1. Considérant que le constituant de la Quatrième République a défini les libertés d’expression et de communication à travers ses propres restrictions, telles qu’elles sont énoncées à l’article 10 in fine de la Constitution ; que dès lors, il en appert que ces libertés ne peuvent exister que dans le cadre d’une réglementation instituée par la loi qui en précise les conditions requises pour leur mise en œuvre ;
  1. Considérant, à cet effet, que selon les termes de l’article 95-I-1°de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux individus, associations, partis politiques et à tout autre groupement pour l’exercice des droits et des libertés ainsi que leurs devoirs et obligations »;
  1. Considérant que, s’agissant de libertés fondamentales telles que les libertés d’expression et de communication, la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ; que par ailleurs, dans la législation prise pour leur réalisation conformément aux prescriptions de l’article 95 de la Constitution, et au regard du caractère essentiel de ces libertés, les atteintes portées à leur exercice doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif d’intérêt général poursuivi ;
  1. Considérant qu’il est, dès lors, loisible au législateur, dans le cadre de la compétence que lui confère l’article 95 sus-indiqué, de la Constitution de soumettre l’exercice de la liberté d’expression et de communication « (au) respect des libertés et droits d’autrui, et (de) l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat », indiqués par les dispositions de l’article 10 in fine; qu’à cet effet, les limites et les restrictions à la liberté d’expression et de communication doivent être prévues par la loi, c’est-à-dire par une règle générale, écrite, antérieure aux faits litigieux et suffisamment accessible et prévisible ; qu’en outre, dans un Etat de droit, comme se le réclame la Quatrième République, tel que le mentionne l’article 1er alinéa 3 de la Constitution, ces limites doivent correspondre à des mesures nécessaires dans une société démocratique, justifiées par un besoin social impérieux qui soit contrôlé par des instances principalement juridictionnelles ;
  1. Considérant ainsi que le législateur, en conciliant, dans les articles 6, 13, 19, 20, 23, 140 et 172 de la loi sous examen, l’exercice de la liberté d’expression et de communication avec les impératifs de l’ordre public, des bonnes mœurs, du respect de la vie privée et de la sécurité de l’Etat, se conforme aux dispositions des articles 10 et 95-1° de la Constitution ; que cet encadrement de l’exercice de la liberté d’expression et de communication doit, en tout état de cause, pouvoir être soumis au contrôle du juge compétent, comme il est précisé par l’article 13 de la loi ;
  1. Considérant que ladite loi adopte le principe de la liberté d’expression , liberté fondamentale consacrée par la Constitution et  les divers textes  internationaux  tels que le Pacte International des Droits  civils et Politiques , la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples ; que toutefois, la liberté  d’expression comporte des restrictions dont le respect de la réputation d’autrui et  la sauvegarde de  l’ordre public ;

 Sur le principe de la libre circulation de l’information

  1. Considérant que l’article 6 alinéa 2 de la loi n°2016-029 dispose que « la liberté d’information, quel qu’en soit le support, est un droit. L’exercice de ce droit comporte des devoirs et des responsabilités et est soumis à certaines formalités, conditions, ou sanctions prévues par les textes législatifs et règlementaires en vigueur, lesquelles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique » ; que ledit alinéa reprend intégralement le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution ; que la loi 2016-029 en son article 6 alinéa 2 devrait être une application de la disposition constitutionnelle précitée et non une simple reprise ;
  1. Qu’en conséquence, les termes « formalités, conditions et sanctions à l’exercice du droit à la liberté d’information » devraient être précisés et les textes législatifs et règlementaires y mentionnés devraient être énumérés ; que dans sa Décision n°31-HCC/D3 du 16 octobre 2015 concernant la loi n°2015-020 relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommées « Commission Electorale Nationale Indépendante », la Cour de céans avait considéré que « dans l’exercice de l’élaboration et de la rédaction de la loi, le législateur demeure soumis à l’exigence de précision et de clarté dans les expressions qu’il utilise, et que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi lui impose d’édicter des normes cohérentes, suffisamment précises afin de prémunir les sujets de droit contre les applications contraires à la Constitution » ;
  1. Que l’article 6 alinéa 2 de la loi déférée ne répond pas à l’exigence de l’article 11 de la Constitution ; qu’il devrait être mis en conformité à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux pratiques et instruments internationaux des droits de l’homme ;

 Sur l’accès à l’information

  1. Considérant que l’article 7 de la loi n°2016-029 pose le principe du libre accès à l’information ; que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantit clairement la collecte et la diffusion des informations, ainsi que le droit pour le public de recevoir ces informations en toute liberté ;
  1. Que le dernier alinéa de l’article 7 de la loi en examen dispose que « les conditions, les modalités et les procédures relatives à l’accès aux documents administratifs des organismes publics seront définies par un texte spécifique » ; que les éventuelles restrictions devront être expressément fixées par la loi sur la base des nécessités du « respect des droits ou de la réputation d’autrui » et de « la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la morale publique » prévues par l’article 19.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu’en attendant, il peut être fait référence à la Charte malgache relative à l’accès à l’information et au partage des connaissances, texte au caractère non contraignant ;

 Sur l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs prévue par l’article 6 de la loi  sur le Code de la communication médiatisée

  1. Considérant que l’article 6 de la loi n°2016-029 dispose que « l’information, sous toutes ses formes n’est soumise à aucune contrainte préalable, sauf celle portant atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs.

La liberté d’information, quel qu’en soit le support, est un droit. L’exercice de ce droit comporte des devoirs et des responsabilités et est soumis à certaines formalités, conditions ou sanctions prévues par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, lesquelles constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique » ;

  1. Considérant que la liberté d’information se heurte ainsi à la notion d’ordre public, notion dont l’appréciation relève toujours de l’autorité judiciaire ; que, selon les normes démocratiques, la notion d’ordre public doit faire l’objet d’une interprétation restrictive ;
  1. Considérant que la Constitution en son article 11 dispose que « Tout individu a droit à l’information ; l’information sous toutes ses formes n’est soumise à aucune contrainte préalable sauf celle portant atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs» ;
  1. Considérant en conséquence que l’article 6 de la loi n°2016-029 portant Code de la communication médiatisée est conforme à la Constitution sous réserve du Considérant 27;

Sur l’atteinte à la vie privée prévue par l’article 20 alinéa premier de la loi n°2016-029

  1. Considérant que la loi n°2016-029 présentement soumise au contrôle de constitutionnalité, en son article 20 alinéa premier, dispose que « le journaliste s’abstient de porter toute atteinte à la vie privée des personnes, même lorsque ces personnes assument des fonctions  ou un rôle  politique Toutefois,  lorsque l’intérêt public le justifie, le journaliste peut révéler  des informations lorsque celles-ci compromettent la morale publique  et/ou constituent une menace pour la santé publique

Constitue une atteinte à la vie privée, la divulgation  de l’intimité de la vie privée d’autrui :

-1 : la captation, l’enregistrement, la conservation, la transmission ou la publication, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées, des images, des photos ou des vidéos à titre privé ou confidentiel

-2 : la publication, par quelque moyen que ce soit,  de montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne, sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage » ;

  1. Que l’article 59 de la même loi réitère cette interdiction de porter atteinte à la vie privée d’une personne en disposant que «  constituent des manquements aux devoirs et obligations du journaliste professionnel  (…) les atteintes à la vie privée de tout citoyen » ;
  1. Considérant que les autorités publiques et politiques sont avant tout des citoyens et doivent bénéficier du  même droit  au  respect de la vie privée qu’un simple citoyen ; qu’en faire la distinction est contraire aux principes fondamentaux posés par l’article 6 de la Constitution  qui dispose que « tous les individus sont  égaux  en  droit et jouissent  des mêmes libertés  fondamentales (…) » ;
  1. Considérant que la liberté d’expression est une liberté fondamentale, un des piliers de la démocratie ; qu’à ce titre, elle est garantie par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme selon lequel : « Tout individu a la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit » ;
  1. Considérant que cette liberté de la presse n’est pas sans limite ; qu’elle doit se conjuguer avec d’autres libertés inaliénables, les libertés de conscience, de pensée, de culte ; que l’article 29 alinéa 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et au bien-être général dans une société démocratique» ; que selon les termes de l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ; que ces dispositions sont reprises intégralement par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
  1. Considérant par ailleurs que l’article 9 du Code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée » ; que les limites à cette atteinte à la vie privée d’autrui sont déjà introduites dans les articles 10 et 11 de la Constitution qui méritent d’être considérées ;
  1. Considérant que la Charte de déontologie de Munich ou Déclaration des devoirs et droits des journalistes est devenue une référence universelle concernant la déontologie du journaliste ; qu’elle énumère dix devoirs et cinq droits du journaliste ; que le devoir 5 est de « s’obliger à respecter la vie privée des personnes » ;
  1. Considérant en conséquence que l’article 20 alinéa premier de la loi  2016-029  en interdisant  au journaliste  de  porter atteinte  à  la  vie  privée , n’est pas contraire à la Constitution ;

Sur l’article 30 relatif à la diffusion de fausses nouvelles et entrave au déroulement des fêtes nationales 

  1. Considérant que l’article 30 de la loi soumise à contrôle dispose  que «  La publication, la diffusion ou la production par quelque moyen que ce soit de fausses nouvelles, de pièces ou faits trafiqués, altérés, falsifiés ou mensongèrement attribués à des tiers et laquelle aura induit le public en erreur , troublé la paix publique ou aura été susceptible de la troubler, est punie d’une amende de 3 000 000 à 6 000 000 Ar.

Les mêmes faits sont  punis de la même peine lorsque la  publication, la diffusion ou la reproduction faite est de nature à ébranler la discipline  ou le moral des armées ou à entraver la paix civile.

Est punie  de la même peine toute entrave par quelque moyen que ce  soit, au déroulement des fêtes nationales ou toute incitation, par tout support audiovisuel, à s’abstenir d’y participer, que cette incitation ait été ou non  suivie d’effet » ;

  1. Considérant que la diffusion de fausses nouvelles  trouble  l’opinion publique qui pourtant a droit à l’information juste et impartiale qui permet son plein épanouissement  intellectuel ; que d’ailleurs l’article 17 de la Constitution dispose que : « L’Etat protège et garantit l’exercice  des droits qui assurent  à l’individu son intégrité et la dignité de sa personne , son plein épanouissement physique , intellectuel et moral » ;
  1. Considérant que le devoir 1 de la Charte de Munich impose de « respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même et, ce en raison du droit que le public a de connaître la vérité » et le devoir 6 de « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte » ;
  1. Considérant par ailleurs que l’entrave au déroulement des fêtes nationales ou toute incitation à s’abstenir d’y participer est négatrice des valeurs essentielles de toute société démocratique ; que c’est une idée qui menace la paix sociale et qui tente de dresser des groupes les uns contre les autres, ce qui est d’ailleurs contraire à l’éducation citoyenne ;
  1. Considérant que l’article10 de la Loi fondamentale dispose que « Les libertés   d’opinion et d’expression, de communication, de presse, d’association, de réunion, de circulation, de conscience et de religion  sont garanties à  tous et ne peuvent être limitées que par le respect des libertés et droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat » ;
  1. Considérant que l’incitation du citoyen à entraver les fêtes nationales est contraire aux valeurs constitutionnelles  dans une société démocratique et mérite d’être sanctionnée ;
  1. Que de ce qui précède, l’article 30 de la loi n°2016-029 n’est pas contraire à la Constitution ;

 Sur l’article 44 relatif à la fermeture de l’entreprise  par le ministère chargé de la  communication  

  1. Considérant que le titre III traite des infractions par voie de communication médiatisée et le chapitre VIII porte sur les peines complémentaires, de la récidive et des prescriptions ; que l’article 44 de ladite loi édicte qu’en cas de récidive, la fermeture définitive de l’entreprise et /ou la radiation du journaliste peut être prononcée par le Ministère chargé de la communication ;
  1. Considérant que la  sanction (fermeture définitive de  l’entreprise , radiation ) prononcée  par  le ministère chargé de  la communication est une  sanction administrative  indépendamment des sanctions pénales  que  pourrait  prononcer la juridiction  judiciaire ;
  1. Considérant ainsi qu’il n’y a pas double sanction pour un même fait ; qu’en effet, le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puisse  faire l’objet d’une autre  poursuite aussi bien pénale qu’administrative ;
  1. Considérant en effet que le principe de « non bis in idem » consacré par la Constitution en son article 13 n’interdit pas en tant que tel, le cumul des sanctions administrative et pénale ;
  1. Considérant en conséquence que les dispositions de l’article 44 de la loi  soumise au contrôle de constitutionnalité sont  conformes à  la  Constitution ;

 Sur l’Autorité Nationale de Régulation de la Communication Médiatisée

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 51 de la loi n°2016-029, « est instituée une autorité administrative indépendante dénommée « Autorité Nationale de Régulation de la Communication Médiatisée » ou ANRCM » ; que l’indépendance d’une autorité administrative indépendante est la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre des mesures en toute liberté et à l’abri de toutes instructions et pressions ; que cette indépendance implique l’absence d’un pouvoir hiérarchique et d’un pouvoir de tutelle sur l’institution qui ne reçoit ni ordre ni instruction de la part du gouvernement ; que l’ANRCM doit être à la fois indépendante du pouvoir politique et des acteurs du secteur de la communication médiatisée ; qu’en tant que protecteur des libertés publiques dans son domaine, l’ANRCM doit disposer d’une indépendance marquée ; que selon l’article 7 de la Constitution, l’exercice des libertés fondamentales est organisé par la loi ; qu’en conséquence les garanties d’indépendance de l’ANRCM doivent figurer expressément dans la loi déférée et non dans le décret prévu à l’article 53 de la loi ;

 Sur l’article 85 relatif au directeur de publication 

  1. Considérant qu’aux termes de l’article 85 de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité : « Toute entreprise de presse écrite, audiovisuelle, sur  la toile hébergée à Madagascar doit avoir un directeur de publication. Le directeur de publication qu’il soit ou non salarié  de l’entreprise de presse, doit être le propriétaire ou l’actionnaire majoritaire  ou le représentant légal » ;
  1. Considérant que le directeur de publication est défini comme  étant « La personne  chargée  au sein de l’entreprise  de communication  de rendre public le contenu  éditorial. Il assure la pleine responsabilité des contenus diffusés même s’il charge le responsable de la rédaction des modalités pratiques   de mise en œuvre  du service ; il est l’interlocuteur institutionnel  du diffuseur ; Il est donc responsable pénalement de tout ce qui  est publié et que cette responsabilité est incontournable » ;
  1. Considérant qu’il est de pratique courante en droit comparé que lorsqu’une personne physique est propriétaire ou locataire-gérant d’une entreprise éditrice ou en détient la majorité du capital ou des droits de vote, il en est le directeur de publication ; que dans les autres cas, le directeur de publication est le représentant légal de l’entreprise éditrice ;
  1. Considérant ainsi que l’article 85 ne contient aucune disposition contraire à  la Constitution ;

Sur la détermination des infractions et des peines prévues par les dispositions de la loi

  1. Considérant qu’à l’endroit des actes et des faits susceptibles de constituer des délits ou des crimes, consécutifs au non-respect ou à la violation des dispositions prévues par la loi n°2016-029 portant Code de la communication, le législateur a prévu des procédures différenciées ainsi que des sanctions administratives ou des peines d’amende qui s’y rapportent, à l’exclusion de toute peine privative de liberté, dont la détermination du quantum est laissée à l’appréciation souveraine du juge compétent à cet effet ; qu’à cet égard, il appartient aux autorités juridictionnelles compétentes de veiller au respect des principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité de celles-ci, des principes qui ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales, mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une sanction  ;
  1. Que, par ailleurs, la Cour de céans observe et souligne, qu’il ne lui appartient pas dans le cadre de la mission qui lui est confiée par l’article 117 de la Constitution, de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci ;
  1. Considérant que, dans la détermination des infractions aux dispositions de la loi n°2016-029 portant Code de la communication et des sanctions ou des peines qui leur sont liées, le législateur se conforme, d’une part, au principe de la légalité des délits et des peines énoncé par les dispositions de l’article 9 alinéa 2 de la Constitution, et d’autre part, aux dispositions de l’article 95-8 de la Constitution aux termes desquels, « la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » ; qu’il appartient, dans ce cadre, au législateur de se conformer au Principe XII de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique qui dispose que « les sanctions ne doivent jamais être sévères au point d’entraver l’exercice du droit à la liberté d’expression, y compris par les autres » ;
  1. Considérant qu’il est ainsi satisfait aux exigences de la Constitution, et que dès lors, les dispositions se rapportant à la détermination des infractions, des sanctions et des peines prévues par la loi n°2016-029 portant Code de la communication, ne sont pas contraires mais conformes à la Constitution ;

Sur les recettes des radiodiffusions et télévisions privées non commerciales

  1. Considérant que le dernier alinéa de l’article 144, l’article 145, le dernier alinéa de l’article 151 et de l’article 152 alinéas premier et 2 restreignent la diffusion de publicités pour les radiodiffusions et télévisions privées non commerciales, en les limitant aux publicités d’intérêt public ; que la liberté d’entreprendre et la liberté de communication n’ont pas un caractère général ni absolu et que les règles apportant des limitations au financement des activités de communication par la publicité ne sont, en elles-mêmes, contraires ni à la liberté de communiquer ni à la liberté d’entreprendre ;
  2. Que les dispositions précitées sont conformes à la Constitution ;

Sur le service public de radio et de télévision

  1. Considérant que les éditeurs et distributeurs de radiodiffusion ou de télévision publiques assurent une mission de service public ; qu’en tant que tel, ils sont soumis à l’obligation constitutionnelle de neutralité politique prévue par l’article 39 alinéa premier de la Constitution ; que l’article 157 de la loi en examen pose les principes de la « diversité » et du « pluralisme » des services offerts ; que cela signifie que aussi bien le service public national de la communication audiovisuelle que les services provinciaux, régionaux et locaux sont tenus de respecter le droit à l’information, à la libre expression, à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions ;

   En conséquence,

Décide :

Article premier.- L’article 6 alinéa 2 de la loi n°2016-029 portant Code de la communication médiatisée doit être une application de l’article 11 alinéa 3 de la Constitution et être mis en conformité à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux pratiques et instruments internationaux des droits de l’homme.

Article 2.– Sous les réserves d’interprétation des Considérants 28, 30, 53, 60 et 64, toutes les autres dispositions de la loi n°2016-029 portant Code de la communication médiatisée sont  déclarées conformes à la Constitution et peuvent être promulguées.

Article 3.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au journal  officiel  de  la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi douze août l’an deux mille seize à quatorze heures trente minutes, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Mr  RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président

Mme ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne

Mme RAHARISON RANOROARIFIDY Yvonne Lala Herisoa, Haute Conseillère

Mr TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller

Mr TIANDRAZANA  Jaobe Hilton, Haut Conseiller

Mme RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère

Mr  DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller

Mme RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère

Mr  ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller ;

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.