La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution du 11 décembre 2010 ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que par requête en date du 8 juin 2011, enregistrée au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 16 juin 2011, sieur RANDRIANARIMANANA Hajasoa et consorts, maires de communes rurales, ayant pour conseil Maître Jonah RAHETLAH, Avocat au barreau de Madagascar, demandent l’avis de la Cour de céans sur la conformité à la Constitution du projet de loi organique n°007-2011 du 5 mai 2011 relatif à la création d’une Cour Electorale Spéciale actuellement initiée par devant le Parlement de la Transition ;
Considérant que sieur RANDRIANARIMANANA Hajasoa et consorts saisissent le Haute Juridiction au moyen d’une requête et qu’ils demandent que celle-ci soit déclarée recevable car faite par un organe des collectivités décentralisées conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution ;
Considérant que dans leur requête, les demandeurs exposent :
Que la Constitution de la IVème République est entrée en vigueur le 11 décembre 2010, date de sa promulgation ;
Que jusqu’à la mise en place définitive des Institutions prévues par la Constitution, la période dite de Transition est régie par son titre VII intitulé « Dispositions transitoires et diverses » ;
Qu’en vertu du principe de hiérarchie des normes, la constitution du 11 décembre 2010, loi fondamentale, s’impose à toutes autres normes juridiques ;
Que l’article 116-4° de la Constitution dispose que la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur le contentieux des opérations de référendum, de l’élection du Président de la République et des élections des députés et sénateurs » ; que c’est encore la Haute Cour Constitutionnelle qui « proclame le résultat officiel des élections présidentielles, législatives et des consultations par référendum » aux termes de l’article 116-5° de la Constitution ;
Que le document dit « Feuille de route pour la sortie de crise à Madagascar », par la consécration de la création d’une Cour Electorale Spéciale, rentre en violation des dispositions constitutionnelles ;
Que la substance et le contenu de ladite « Feuille de route » font aujourd’hui l’objet du projet de loi n°007-2011 du 5 mai 2011 sus-évoqué ;
Que l’article premier du projet de loi suscité énonce qu’ « …il est crée, à titre exceptionnel et provisoire, une Cour Electorale Spéciale chargée du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs des élections du Président de la République et des Députés » ;
Qu’aux termes de l’article 166 de la Constitution, jusqu’à la mise en place progressive des Institutions de la IVème République, les Institutions et organes de la période de Transition continuent d’exercer leurs fonctions et que la Haute Cour Constitutionnelle actuelle fait partie de ces Institutions ;
Que la « Feuille de route » qui ne constitue qu’une entente entre personnes privées, ne peut se voir accorder une quelconque reconnaissance et une quelconque autorité, au point de faire l’objet, de la part des autorités de la Transition, d’un projet de loi en vue de sa consécration par voie législative ;
EN LA FORME :
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’Institution et tout organe des Collectivités Territoriales Décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;
Considérant que de l’application combinée des articles 148 et 151 de la Constitution, les communes constituent les collectivités territoriales décentralisées de base et que les fonctions exécutives et délibérantes y sont exercées par des organes distincts ;
Considérant que les maires des communes, exerçant la fonction exécutive, figurent parmi les organes des collectivités décentralisées et, en conséquence, la demande d’avis actuellement examinée doit donc être déclarée recevable ;
AU FOND :
Considérant qu’il est de principe que quand les dispositions constitutionnelles sont claires et précises, il n’y a pas lieu à interprétation desdites dispositions et que celles-ci doivent être respectées conformément à la lettre de la loi fondamentale et à l’esprit du constituant ;
Considérant que la notion de « projet d’acte » contenue dans l’article 119 de la Constitution, par seulement le moyen de sa lecture linéaire, ne peut recevoir une large interprétation tendant à occulter d’autres dispositions constitutionnelles relatives à l’examen de conformité à la Constitution ;
Considérant en effet, qu’il ressort de l’examen des motifs invoqués par les demandeurs, qui ont d’ailleurs saisi la Cour de céans au moyen d’une requête, que la demande tend, plutôt et surtout, à soumettre un projet de loi organique au contrôle de constitutionnalité auprès de la Haute Cour Constitutionnelle ;
Considérant toutefois, qu’en ses articles 118 et 117, la Constitution a prévu deux cas différents concernant la soumission des textes législatifs ou réglementaires au contrôle de leur conformité à la Constitution ;
Considérant que le premier cas est énoncé par l’article 118 de la Constitution aux termes duquel « Un Chef d’Institution ou le quart des membres composant l’une des Assemblées parlementaires ou les organes des Collectivités Territoriales Décentralisées ou le Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l’Etat de droit peuvent déférer à la Cour Constitutionnelle, pour contrôle de constitutionnalité, tout texte à valeur législative ou réglementaire ainsi que toutes matières relevant de sa compétence » ;
Qu’alors, dans ce cas, en premier lieu, la saisine de la juridiction est facultative et en deuxième lieu, la matière objet du contrôle, relève de la compétence du saisissant ; que tel n’est pas le cas de la saisine par un organe de collectivité décentralisée qui n’est pas l’auteur du projet de loi organique présentement examiné ;
Considérant que le deuxième cas est prévu par l’article 117 de la Constitution qui dispose que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;
Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 117 de la Constitution :
Que d’une part, sur le plan formel, la Haute Cour Constitutionnelle doit statuer sur la conformité à la Constitution d’une loi organique et non d’un projet de loi organique ;
Que d’autre part, sur le plan organique, la Haute Cour Constitutionnelle en matière de contrôle de constitutionnalité, doit être saisie par l’autorité chargé de promulguer les textes législatifs en la personne du Président de la République et dans le contexte actuel, du Président de la Transition exerçant les fonctions de Président de la République, et non par d’autres autorités ou d’autres organes ;
Qu’en outre, la juridiction constitutionnelle, dans l’exercice de ses compétences telles que fixées par la Constitution et en vertu du principe de séparation des pouvoirs, ne peut se substituer au Parlement déjà saisi du projet de loi pour son adoption ;
Considérant ainsi que l’application combinée des dispositions constitutionnelles sur la procédure d’élaboration des lois ne permet pas la mise en œuvre de l’article 119 de la Constitution concernant l’avis sur la constitutionnalité du projet d’acte sus-invoqué ;
En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle
D E C I D E :
Article premier.-La juridiction de céans n’est pas habilitée par la Constitution à statuer sur la conformité d’un projet de loi organique à la Constitution, sur saisine d’un organe qui n’est pas l’auteur dudit projet.
Article 2.-Le contrôle de conformité à la Constitution d’une loi organique s’effectue obligatoirement après son adoption par le Parlement et avant sa promulgation, sur saisine de l’autorité qui en est compétente.
Article 3.-La présente décision sera publiée au journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le lundi vingt-sept juin l’an deux mil onze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.