La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;
Vu l’Ordonnance n° 2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la Convention relative aux Droits de l’enfant ;
Vu la loi n°61-025 du 09 octobre 1961 relative aux actes de l’état civil et les textes subséquents s’y rapportant ;
Vu le Code de procédure civile ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1. Considérant que par lettre n°136-PRM/SG/DEJ-17 05 décembre 2017, le Président de la République a saisi la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 117, alinéa premier, de la Constitution, aux fins de contrôle de constitutionnalité, préalablement à sa promulgation, de la loi n°2017 relative à la délivrance des jugements supplétifs d’actes de naissance des enfants dans le cadre de l’enregistrement rétroactif des naissances et des adultes dans le cadre de l’opération Carte d’Identité Nationale ;

2. Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que selon l’article 117 de la loi fondamentale, « avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

3. Considérant que la loi n°2017-022 relative à la délivrance des jugements supplétifs d’actes de naissance des enfants dans le cadre de l’enregistrement rétroactif des naissances et des adultes dans le cadre de l’opération Carte d’Identité Nationale, est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ;

4. Considérant que ladite loi a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat lors de leurs séances respectives du 02 novembre 2017 et du 27 novembre 2017 ;

5. Considérant ainsi que les dispositions constitutionnelles relatives au contrôle de constitutionnalité ont été respectées ; que la saisine introduite par le Président de la République est régulière et recevable ;

AU FOND

6. Considérant que la loi n°2017-022, objet de contrôle de constitutionnalité, relève du domaine législatif en vertu de l’article 95.11 de la Constitution qui dispose que : « Outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution, la loi fixe les règles concernant l’organisation de la famille, l’état et la capacité des personnes » ;

7. Considérant que conformément à la Décision n°09-HCC/D3 du 25 janvier 2017 de la Cour de céans, laquelle se référait à la Convention Internationale relative aux Droits des enfants en son article 7, chaque enfant bénéficie d’un droit à l’identité notamment le droit d’avoir un nom, une nationalité ;

8. Considérant que d’après l’article 24.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, « tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom » ; qu’à cet effet, la naissance de tout enfant doit être déclarée et enregistrée aux registres de l’état civil ; que selon la Décision n°09-HCC/D3 du 25 janvier 2017 précitée, « le non enregistrement et l’absence d’acte de naissance constituent une atteinte à ce droit fondamental » ;

9. Considérant que la loi soumise au contrôle de constitutionnalité devrait permettre aux instances judiciaires, de tenir des audiences foraines spéciales dans des conditions de forme plus simplifiées, à l’abri de tout éventuel risque de vice de procédure et dans le respect des dispositions légales régissant les actes de l’état civil pour une période de cinq ans ; que la délivrance de jugements supplétifs, durant une période déterminée, devrait pallier aux défaillances de l’Administration, premier responsable de l’enregistrement des naissances ; que la combinaison des deux procédures est un moyen de promouvoir l’enregistrement universel des naissances à Madagascar, un droit fondamental reconnu par la Convention Internationale relative aux Droits des enfants ; que l’article 7.2 de ladite Convention précise que « les Etats parties veillent à mettre ces droits en œuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations internationales que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière […] ».

Concernant les articles 7 et 10

10. Considérant que l’article 7 de la loi déférée dispose que « Tous les magistrats des tribunaux de Première instance et des Cours d’Appel peuvent présider les audiences foraines spéciales à l’intérieur de leur ressort territorial. Il en est de même pour les Préfets, les Préfets de Police, les Chefs de District et leurs adjoints selon le cas » ;

11. Que l’article 10 dispose que « Les représentants de l’Etat, leurs adjoints et les greffiers ad hoc siégeant en audience foraine spéciale doivent préalablement prêter serment par écrit « de bien et loyalement remplir leurs fonctions et d’observer tous les devoirs qu’elles imposent »;

12. Considérant que le Préambule de la Constitution pose le principe de « la séparation et l’équilibre des pouvoirs » ; que ce principe est mis en œuvre par le « Titre III De l’organisation de l’Etat » de la Loi fondamentale ; que l’article 40 in fine de la Constitution précise que « la Cour Suprême, les Cours d’appel et les juridictions qui lui sont rattachées ainsi que la Haute Cour de Justice exercent la fonction juridictionnelle » ;

13. Considérant que le propre de la mission du juge réside dans son activité de décision juridictionnelle, ce qui signifie que par sa décision prise à l’issue d’un procès le juge dit officiellement ce qu’est le droit ; que, formellement, cette activité juridictionnelle se traduit par la rédaction de décisions qui prennent le nom d’ordonnances, d’arrêts ou de jugements ;

14. Considérant que, selon la définition juridique, un « jugement supplétif » est la décision que prend un tribunal pour remplacer un acte authentique, soit que son établissement fût obligatoire et qu’il n’a pas été dressé, soit qu’il ait été détruit ; qu’il en est ainsi du jugement remplaçant un acte de naissance lorsque celui-ci n’a pas été reçu dans les délais de la loi ; que le jugement supplétif est une décision juridictionnelle relevant de la fonction de juger ;

15. Considérant que les Préfets, les Préfets de police, les Chefs de districts et leurs adjoints sont des autorités administratives déconcentrées représentants de l’Etat, et plus précisément représentants de la branche exécutive, au niveau local ; qu’en vertu de la séparation des pouvoirs, ils relèvent de l’exécutif et non du juridictionnel ;

16. Considérant que le pouvoir de présider les audiences foraines relatives à la délivrance de jugements supplétifs avait été conférée à certaines autorités administratives déconcentrées depuis la Première République ; qu’à l’époque, une telle entorse à la séparation des pouvoirs pouvait être justifiée par l’insuffisance des magistrats et le nombre limité de juridictions sur l’ensemble du territoire national ; que, compte tenu de l’effectif actuel des magistrats et de la carte judiciaire contemporaine, il convient désormais d’appliquer strictement le principe de la séparation des pouvoirs ; qu’en conséquence, la présidence des audiences foraines relatives à la délivrance de jugements supplétifs par les Préfets, les Préfets de police, les Chefs de districts et leurs adjoints n’est pas conforme à la Constitution ;

17. Considérant que les autres dispositions de la loi n°2017-022 ne méconnaissent aucune règle de valeur constitutionnelle ; que par conséquent, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution ;

EN CONSEQUENCE
D E C I D E :

Article premier.- La deuxième phrase de l’article 7 et l’article 10 de la loi n°2017-022 relative à la délivrance des jugements supplétifs d’actes de naissance des enfants dans le cadre de l’enregistrement rétroactif des naissances et des adultes dans le cadre de l’opération Carte d’Identité Nationale (CIN) sont contraires à la Constitution.

Article 2.- Les autres dispositions de la loi n°2017-022 sont déclarées conformes à la Constitution et peuvent faire l’objet d’une promulgation.

Article 3.- La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Président du Sénat, au Président de l’Assemblée Nationale, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le lundi dix-huit décembre l’an deux mille dix-sept à neuf heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne
Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller,

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.