La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME :

Considérant que par lettre n°178-011/PHAT en date du 22 décembre 2011, enregistrée au greffe le même jour, le Président de la Haute Autorité de la Transition saisit la Haute Cour Constitutionnelle pour soumettre au contrôle de conformité à la Constitution, préalablement à sa promulgation, la loi n°2011-014 portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de route signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011, ladite loi ayant été adoptée par le Conseil Supérieur de la Transition et le Congrès de la Transition en leurs séances respectives du 7 décembre 2011 et du 13 décembre 2011 ;

Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 117 de la Constitution : « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

Considérant qu’en application des dispositions de l’article 166 de la Constitution, le Président de la Haute Autorité de la Transition continue d’exercer les fonctions de Chef de l’Etat jusqu’à l’investiture du nouveau Président de la République ;

Qu’en conséquence, la saisine, régulière en la forme, doit être déclarée recevable ;

AU FOND :

I-Sur l’insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011 :

Sur l’objectif de la loi :

Considérant qu’à la lecture de l’exposé des motifs de la loi, le principal objectif demeure la tenue d’élections crédibles, libres et transparentes à Madagascar en vue de la sortie de la crise politique actuelle ainsi que du retour à la normalité constitutionnelle ;

Que sous l’égide de la médiation de la SADC, les acteurs politiques malgaches se sont convenus de prendre des engagements consignés dans le document intitulé « Feuille de Route pour la sortie de crise à Madagascar », en présence des représentants de la communauté internationale ;

Que la Feuille de Route a été entérinée à Windhoek à la date du 20 mai 2011 par le sommet extraordinaire des Chefs d’Etat de la SADC et confirmée par le sommet extraordinaire de Sandton le 12 juin 2011 après un amendement au point 20 de la Feuille de Route ;

Que la Feuille de Route comporte un mécanisme de mise en œuvre et d’accompagnement de l’Accord par lequel la SADC appelle la communauté internationale à accompagner le retour à la normalité constitutionnelle ;

Que l’insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route s’impose pour qu’elle acquière valeur de loi et ait effet obligatoire à l’égard de tous ;

Considérant qu’aux termes des articles premier et 2 de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité, tant la Feuille de Route que la note explicative annexée à la loi sont insérées dans l’ordonnancement juridique interne et que la Feuille de route régit les Institutions et organes de la Transition et prend effet jusqu’à la mise en place des Institutions et organes de la IVème République tel que prévu par les dispositions transitoires et diverses de la Constitution ;

Considérant qu’en son article 4, la loi précise qu’elle sera exécutée comme loi de l’Etat ;

Sur l’ordonnancement juridique interne :

Considérant d’emblée qu’il est admis que l’ordonnancement juridique s’entend de l’établissement et de l’existence effective d’une hiérarchie entre la pluralité des normes et que la vision de l’ordre juridique implique l’existence d’une norme suprême à laquelle sont subordonnées d’autres normes ;

Considérant qu’en soumettant la présente loi au contrôle de conformité à la Constitution, les autorités de transition reconnaissent la suprématie de la Constitution et qu’en conséquence, les règles constitutionnelles doivent l’emporter sur toutes les autres règles juridiques de droit interne ;

Qu’il en découle qu’en premier lieu, la Constitution ne saurait être que celle adoptée par voie de référendum le 17 novembre 2010 et promulguée le 11 décembre 2010 et qu’en second lieu, le contrôle de constitutionnalité effectué par la juridiction constitutionnelle demeure la conséquence logique de la hiérarchie des normes;

Considérant que la Constitution prévoit deux formes de contrôle de constitutionnalité, à savoir celle qui est exercée avant la promulgation de la loi tel que prévu en l’article 117 et celle concernant les textes à valeur législative et réglementaire par le moyen d’exception d’inconstitutionnalité tel que prévu par l’article 118 de la Constitution ;

II-Sur la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité :

Sur la nature juridique de la loi :

Considérant que la détermination des différentes catégories de lois apparaît à la lecture de la Constitution et qu’il importe notamment de relever les lois organiques, les lois ordinaires, les lois de finances qui sont votées par le Parlement dans les conditions fixées par le Parlement aux termes de l’article 87 de la Constitution ;

Que relèvent aussi du domaine législatif, les ordonnances prises en Conseil des Ministres par le Président de la République dans les cas et conditions prévus par la Constitution ;

Considérant par ailleurs que l’article 117 de la Constitution oblige le Président de la République à soumettre au contrôle de constitutionnalité, avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances ;

Considérant que la nature juridique de la loi portant insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route se définit par la place reconnue à celle-ci dans la hiérarchie des normes juridiques ;

Considérant qu’en son dernier alinéa, la loi énonce qu’elle sera exécutée comme loi de l’Etat pour que, tel qu’annoncé en son exposé des motifs, elle acquière valeur de loi et ait un effet obligatoire à l’égard de tous ;

Considérant que dans le cas présent, dans le contexte spécifique de la période de transition politique, la nature juridique de la loi soumise au contrôle de constitutionnalité devra se définir plus par rapport à son acception formelle et matérielle que par une catégorisation classique des lois contenue dans les constitutions successives ;

Considérant que sur le plan formel, la loi constitue un acte pris par l’organe législatif;

Considérant que sur le plan matériel, la loi soumise au contrôle de constitutionnalité contient des règles impersonnelles, de portée absolue et à caractère obligatoire ;

Considérant qu’alors, la présente loi figure parmi les sources du droit transitoire devant servir à la mise en œuvre des engagements des acteurs politiques malgaches en vue de la mise en place d’un Parlement de transition et d’un Gouvernement d’union nationale, de l’organisation d’élections crédibles, justes et transparentes en coopération avec la communauté internationale, de l’adoption de mesures de confiance et des efforts pour la réconciliation nationale, de la rentrée à Madagascar sans conditions de tous les citoyens malgaches en exil pour des raisons politiques dans le respect de l’intégrité nationale, la souveraineté nationale et l’indépendance des systèmes judiciaires du pays, tel qu’énoncé à l’exposé des motifs de la loi ;

Considérant que le droit transitoire sus-évoqué, qui régit la période de transition, a un caractère purement temporaire et provisoire ;

Sur la procédure d’élaboration de la loi :

Considérant dès l’abord qu’aux termes des dispositions de l’article 86 de la Constitution, l’initiative des lois appartient concurremment au Premier Ministre, aux Députés et aux Sénateurs ;

Considérant que dans le contexte actuel, l’organe législatif a transformé en loi et en bloc les engagements pris par les acteurs politiques malgaches et reconnus par la communauté internationale ;

Considérant ainsi que l’insertion de la Feuille de Route dans l’ordonnancement juridique interne au moyen d’une loi s’avère nécessaire pour l’application des dispositions transitoires et diverses de la Constitution et, par conséquent, censée se conformer à l’esprit du constituant ;

Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle, dans l’exercice de ses fonctions en matière de contrôle de conformité à la Constitution, n’est pas habilitée à devenir le juge de l’opportunité des mesures et engagements politiques destinés au retour à la normalité constitutionnelle ;

Considérant qu’en tout état de cause, la mise en œuvre des mesures prévues dans la Feuille de route doit rester conforme aux règles constitutionnelles en vigueur et que la règle de répartition des compétences actuellement définie réserve le contrôle de conformité à la Constitution à la Haute Cour Constitutionnelle et requiert l’intervention de la médiation de la SADC pour résolution de tout conflit dans l’interprétation des dispositions de la Feuille de Route, conformément à son paragraphe 32 ;

En conséquence,
D é c i d e :

Article premier.- La Haute Cour Constitutionnelle prend acte de l’insertion dans l’ordonnancement juridique interne de la Feuille de Route signée par les acteurs politiques malgaches le 17 septembre 2011, par le biais de la loi n°2011-014.

Article 2.- Les mesures de mise en œuvre de ladite loi doivent respecter les dispositions constitutionnelles en vigueur.

Article 3.- Pour tout conflit dans l’interprétation des dispositions de la Feuille de route, la SADC demeure l’organe compétent.

Article 4.- La présente décision sera publiée au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le lundi vingt-six décembre l’an deux mil onze à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

M. RAJAONARIVONY Jean Michel, Président
M IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine, Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller

et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.