LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, saisit la Haute Cour Constitutionnelle par lettre n°01-PM.CF.09 en date du 27 juillet 2009 dont la teneur suit :
« Conformément à l’article 115 de la Constitution selon lequel « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’Institution pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution », j’ai l’honneur de vous demander votre avis sur l’interprétation de l’article 53 de ladite Constitution.
Aux termes dudit article : « Le Président de la République nomme le Premier Ministre.
Il met fin à ses fonctions pour toute cause déterminante.
Sur proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions ».
Certes, la jurisprudence de la Haute Cour Constitutionnelle a toujours fait ressortir que la Constitution est d’interprétation stricte, il n’en demeure pas moins que le contexte spécifique de la transition s’oppose à l’application de la Constitution en toutes ses dispositions.
En effet, en premier lieu, par sa décision n°03-HCC/D2 du 23 avril 2009 concernant les requêtes relatives à la situation de transition, la Haute Cour Constitutionnelle a précisé :
– que le transfert des pleins pouvoirs à un Directoire Militaire constituait une manifestation unilatérale de volonté du Président de la République, situation ayant fait entrer le pays dans une période de transition (changement organique et formel de l’organisation de l’Etat) ;
– qu’à défaut de pouvoir procéder à l’application à la lettre de la Constitution en de circonstance exceptionnelle, elle s’est attachée aux principes généraux de droit et aux valeurs constitutionnelles.
En deuxième lieu, les principaux actes régissant la transition demeurent la Résolution de la Haute Autorité de la Transition du mois de mars 2009, les ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 du 17 mars 2009 transférant les pleins pouvoirs à un Directoire Militaire puis à Monsieur Andry Nirina RAJOELINA qui exerce les attributions dévolues du Président de la République.
La Haute Cour Constitutionnelle, par sa lettre n°79-HCC/G du 18 mars 2009, a pris acte de la Résolution sus évoquée et a validé les ordonnances sus citées.
Ces actes constituent dès lors un bloc de refondation juridique de la société en de circonstance exceptionnelle et font apparaître que les Institutions de la République sont désormais :
– la Haute Autorité de Transition présidée par Monsieur Andry Nirina RAJOELINA qui exerce les fonctions dévolues du Président de la République ;
– le Gouvernement dirigé par Monsieur MONJA Roindefo Zafitsimivalo, Premier Ministre, Chef du Gouvernement ;
– la Haute Cour Constitutionnelle, dans sa formation actuelle.
Les actes sus évoqués, une fois validés par la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 116 de la Constitution, ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles.
Qui plus est, la décision n°03-HCC/D2 du 23 avril 2009 a justifié la mise en place des structures étatiques provisoires pour le nécessaire respect du principe de continuité de l’Etat, une des principales conditions de l’apaisement social.
En tout état de cause, la Résolution de la Haute Autorité de l’Etat de la Transition dont a pris acte la Haute Cour Constitutionnelle et les ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 du 17 mars 2009 validées par la Haute Cour Constitutionnelle s’opposent aux changements des personnalités désignées pour diriger les Institutions de la Transition.
C’est pourquoi, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, demande l’avis de la Haute Cour Constitutionnelle sur les questions qui suivent :
1- A défaut de mettre en œuvre la Constitution en toutes ses dispositions, durant la période de transition, quels actes et quels principes généraux de droit demeurent-ils applicables ?
2- Hors le cas de décisions prises lors d’une concertation participative et inclusive, l’initiative d’un ou de quelques membre(s) des autorités de transition procède-t-elle d’une refondation juridique de la transition en remplacement des dispositions constitutionnelles ou transitoires ?
3- Les dispositions de l’article 53 en son alinéa 2 aux termes duquel « Il (le Président de la République) met fin à ses fonctions (celles du Premier Ministre) pour toute cause déterminante » peuvent-elles être mises en œuvre de manière discrétionnaire par le Président de la Haute Autorité de la Transition ? »
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Considérant que l’article 115 de la loi fondamentale donne compétence à la Haute Juridiction à donner son avis sur une interprétation d’une disposition constitutionnelle ;
Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle, par sa décision n°03-HCC/D2 du 23 avril 2009, a clairement constaté le passage à une période de transition suite aux ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 prises le 17 mars 2009 ;
Considérant que la transition, d’une part, a engendré la disparition de l’ordonnancement politique initial et la mise en place d’autorités de fait qui sont la Haute Autorité de Transition et le Gouvernement; que, d’autre part, sur le plan juridique, survivent les dispositions légales compatibles avec le nouveau régime mais également les principes généraux de droit intangibles ;
Considérant que par sa lettre n°79-HCC/G du 18 mars 2009, la Haute Cour Constitutionnelle a validé les ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 du 17 mars 2009 ayant entraîné la vacance de la Présidence de la République et a pris acte de la résolution de la Haute Autorité de Transition ;
Considérant qu’en la forme, ladite résolution constitue un acte servant de preuve de l’existence de la situation juridique de transition et au fond, une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit liant leurs auteurs ;
Considérant que la résolution a clairement spécifié :
– que la Haute Autorité de Transition est présidée par Monsieur Andry Nirina RAJOELINA qui assure les attributions dévolues au Président de la République ;
– que le Gouvernement de transition exerce immédiatement ses fonctions et que le Premier Ministre nommé par la Haute Autorité de Transition est Monsieur MONJA Roindefo Zafitsimivalo ;
– que la Haute Cour Constitutionnelle exerce ses fonctions qui lui sont dévolues par la Constitution ;
Considérant, d’une part, que les précédentes dispositions ont été adoptées pour privilégier la continuité de l’Etat et que la légitimité de la transition est fondée sur les nécessités objectives de l’ordre social ;
Considérant ainsi qu’en premier lieu, la Haute Cour Constitutionnelle a officiellement mis en place Monsieur Andry Nirina RAJOELINA dans ses fonctions de Président de la Haute Autorité de Transition le 21 mars 2009 ;
Qu’en deuxième lieu, la continuité de l’Etat a été confirmée par la passation de pouvoir librement consentie entre l’ancien Premier Ministre, sieur Charles RABEMANANJARA, et le nouveau Premier Ministre, sieur MONJA Roindefo Zafitsimivalo, le mercredi 1er avril 2009 ;
Qu’enfin, pour éviter un vide constitutionnel, le maintien de la Haute Cour Constitutionnelle, dans sa formation actuelle, s’avère nécessaire pour la sauvegarde de l’Etat de droit ;
Considérant, d’autre part, que les ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 du 17 mars 2009 sus évoquées ainsi que la résolution de la Haute Autorité de Transition constituent un passage à un nouveau régime de droit et que de tels bouleversements politiques et juridiques rentrent dans le cadre d’une déconstitutionnalisation de l’organisation de l’Etat ;
Considérant que la nouvelle situation ne permet pas d’appliquer la Constitution initiale en toutes ses dispositions ;
Considérant que les dispositions de l’article 53 de la Constitution s’appliquent dans le cadre d’un mécanisme constitutionnel relevant de l’ordre constitutionnel initial ;
Considérant que l’ordre constitutionnel initial s’entend des Institutions de l’Etat émanant des différentes élections et qu’a été mis en place un système d’équilibre, de contrôle et de responsabilité entre lesdites Institutions ;
Considérant ainsi que la rupture par rapport aux normes initiales et l’application combinée des textes formant l’ordonnancement juridique interne de la transition ne permettent plus de procéder à la stricte observation de toutes les dispositions constitutionnelles notamment celles de l’article 53 de la Constitution ;
Considérant en effet que les actes suscités régissant la transition, dont la résolution prise par la Haute Autorité de Transition, requièrent la garantie du principe de continuité de l’Etat, la collaboration continue entre les Institutions de la transition en vue d’atteindre les objectifs de la transition ainsi que la stabilité politique et sociale ;
Considérant dès lors qu’il résulte des actes expressément pris qu’il demeure nécessaire, pour l’intérêt supérieur de la Nation, d’assurer le maintien des Institutions telles qu’énoncées initialement dans la résolution sus évoquée ;
Considérant ensuite que la demande d’avis, à la lecture des questions émises par le Premier Ministre, Chef du Gouvernement, est relative au fondement même de la transition concernant spécifiquement les grandes idées qui régissent la transition et les objectifs assignés aux autorités de transition ;
Considérant que l’ordonnancement juridique interne actuellement en vigueur, constitué par les principes généraux de droit communément admis, la résolution de la Haute Autorité de Transition et les ordonnances prises, vise l’instauration d’un nouvel ordre constitutionnel susceptible de réaliser les aspirations légitimes du peuple malagasy ;
Considérant que pour y parvenir, les ordonnances n°2009-001 et n°2009-002 du 17 mars 2009, validées par la Haute Cour Constitutionnelle par sa lettre n°79-HCC/G du 18 mars 2009, ont fixé les attributions des autorités de transition et qui sont notamment :
– l’organisation des assises nationales,
– la préparation de la révision de la Constitution,
– l’élaboration de la loi sur les partis politiques,
– l’organisation des élections à tous les niveaux ;
Considérant que les attributions sus indiquées requièrent de la part des autorités de transition une volonté manifeste de respecter l’Etat de droit par l’organisation d’élections libres et transparentes et par la garantie des libertés et droits fondamentaux de chaque citoyen ;
Considérant que pour préserver l’apaisement social, des procédés conformes au principe de la démocratie doivent être mis en œuvre ;
Qu’ainsi, dans un souci de transparence de la gestion des affaires publiques, les décisions prises au moyen d’ordonnances ou de textes réglementaires, devront être régulièrement publiées par tous moyens ;
Que la recherche et l’instauration du dialogue sont nécessaires, en respect du pluralisme politique, pour rétablir la solidarité et la confiance ;
Considérant qu’au regard du principe de la séparation des pouvoirs, principe constitutionnel admis tant en période normale qu’en période de transition, les Institutions de l’Etat peuvent être renforcées à la suite de dialogue et de concertation positifs entre les entités politiques et civiles de la société ou après l’organisation d’élections libres et transparentes suivant des échéances décidées communément dans un délai raisonnable ;
Considérant que pour l’instauration d’un nouvel ordre constitutionnel, demeurent applicables tant l’ordonnancement juridique interne en vigueur que les engagements internationaux initialement acceptés ainsi que les règles liées au « Fihavanana » contenues dans les valeurs spirituelles et culturelles malagasy ;
En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :
Article premier.- Les dispositions de l’article 53 de la Constitution sont réservées, en période normale, à un Président de la République régulièrement élu et le principe de continuité de l’Etat requiert le maintien des Institutions énoncées dans la résolution de la Haute Autorité de Transition.
Article 2.- Durant la transition, bien que la Constitution ne puisse être appliquée en toutes ses dispositions, demeurent applicables les principes généraux de droit, les principes généraux de droit à valeur constitutionnelle, les engagements internationaux régulièrement acceptés, les valeurs spirituelles et culturelles propres à la nation, les ordonnances et textes réglementaires après leur publication et promulgation.
Article 3.– La refondation juridique de la société résulte d’un dialogue et de concertation dans le respect du « Fihavanana ».
Article 4.- Le présent avis sera publié au journal officiel.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo le vendredi trente et un juillet l’an deux mil neuf à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA RASOAZANAMANGA Rahelitine , Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
Mme DAMA RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef