La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

1. Considérant que par lettre n°111/PRM/SG/DEJ-18 du 06 septembre 2018, le Président de la République saisit le Président de la Haute Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions de l’article 119 de la Constitution, aux fins :
– d’une part, de déterminer la portée « des attributions présidentielles courantes », prévues par les dispositions de l’article 46 alinéa 2 de la Constitution lorsque, « le Président de la République en exercice qui se porte candidat aux élections Présidentielles, démissionne de son poste soixante jours avant la date du scrutin Présidentiel. Dans ce cas, le Président du Sénat exerce les attributions présidentielles courantes jusqu’à l’investiture du nouveau Président » ;
– d’autre part, de préciser les conditions de « l’exercice des fonctions du Président de la République en cours de mandat, en vertu des dispositions combinées des articles 45, 46 et 48 de la Constitution » ;

EN LA FORME

2. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 119 de la Constitution : « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout chef d’institution et tout organe des collectivités territoriales décentralisées pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution » ;

3. Que s’agissant d’un avis sur le sens et l’interprétation d’un article de la Constitution et ses conséquences présenté par un Chef d’institution, en l’occurrence le Président de la République, la présente demande est régulière et recevable ;

AU FOND

Concernant le principe de l’intangibilité [de la durée] des mandats électifs

4. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 5 alinéa premier de la Constitution, « la souveraineté appartient au peuple, source de tout pouvoir, qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect, ou par la voie du référendum. Aucune fraction du peuple, ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté » ; qu’ainsi, l’exercice de la souveraineté s’effectue, principalement, par l’intermédiaire de la représentation par des élus, et que, par ailleurs, la volonté nationale n’existe qu’à partir du moment où les représentants l’expriment ;

5. Considérant que conformément à la théorie du mandat, la validité de tout mandat électif, quelle que soit sa nature, est délimitée dans le temps, dont la durée est définie préalablement par la Loi ;

6. Considérant que pour le mandat du Président de la République, celle-ci est fixée par la Constitution elle-même, et qu’aux termes des dispositions de son article 45 alinéa 2, elle est fixée à « cinq ans renouvelable une seule fois » ;

7. Considérant, par ailleurs, que cette durée du mandat électif est régie, dans son existence, par le principe de l’intangibilité, et dans sa durée, par le principe de l’immutabilité ; qu’en application de ces principes, la durée conférée au mandat du Président de la République doit être de cinq années effectives ;

8. Considérant, toutefois, que la Constitution elle-même dans les dispositions de son article 46 alinéa 2 en indiquant que, « le Président de la République en exercice qui se porte candidat aux élections présidentielles démissionne de son poste soixante jours avant la date du scrutin présidentiel » ; que de telles dispositions contrarient les principes de l’intangibilité et de l’immutabilité rattachés au mandat dont bénéficie le Président de la République, dont les termes sont définis par l’article 45 alinéa 2 de la Constitution ;

9. Considérant, en outre, que l’article 48 alinéa premier de la Constitution étaye le principe de l’immutabilité du mandat conféré au Président de la République en soulignant que, « la passation officielle du pouvoir (à l’issue du processus de l’élection présidentielle) se fait entre le Président sortant et le Président nouvellement élu » ;

10. Considérant que la durée du mandat du Président de la République est ainsi fixée, dans son principe, à cinq années, telle qu’elle est définie par les dispositions de l’article 45 alinéa 2 de la Constitution ; que cependant, le constituant lui-même y a aménagé une exception dans le cas où « le Président de la République en exercice (…) se porte candidat aux élections présidentielles » ; que dans ce cas de figure, le mandat du Président de la République est amputé de six mois ;

11. Considérant que ce dispositif de l’article 46 de la Constitution est propre au droit constitutionnel malgache, et qu’il est inédit dans le droit comparé ;

12. Considérant qu’un tel dispositif contrarie la stabilité de l’institution présidentielle qui, dans l’esprit de la Constitution de la IVème République, représente la clé de voûte des institutions de l’Etat, et fragilise le principe même de la continuité de l’Etat, garant de la pérennité des institutions de la République ;

13. Considérant que, certes, ses ressorts intimes résident dans la volonté de garantir le respect de l’égalité des chances des candidats à l’élection présidentielle, mais un encadrement par la loi serait plus approprié, sans remettre en question un fonctionnement harmonieux des institutions de l’Etat ;

Concernant la signification à accorder aux « attributions présidentielles courantes » exercées par le Président du Sénat, Chef de l’Etat par intérim

14. Considérant qu’aux termes de l’article 46 alinéa 2 in fine, il est souligné qu’en cas de candidature du Président de la République en exercice aux élections présidentielles et de « (démission) de son poste soixante jours avant la date du scrutin présidentiel (…), le Président du Sénat exerce les attributions présidentielles courantes jusqu’à l’investiture du nouveau Président » ;

15. Considérant que le concept d’« attributions présidentielles courantes » est inédit dans sa formulation, mais il recouvre de facto, celui de l’expédition des affaires courantes pour ce qui se rapporte aux attributions conférées au Président de la République, tel qu’il est communément admis ;

16. Considérant qu’en conséquence, et de manière générale, relèvent des attributions présidentielles courantes l’adoption de décrets et de tout acte règlementaire par le chef de l’Etat par intérim qui sont nécessaires ainsi que les mesures urgentes requises pour garantir la continuité des services de l’Etat et de ses institutions ainsi que le fonctionnement régulier des services publics, et dont leur prise relève des attributions normalement dévolues par la Constitution au Président de la République ;

17. Considérant qu’ainsi, rentrent dans la catégorie juridique des attributions présidentielles courantes, les affaires constituant la poursuite normale d’une procédure régulièrement engagée avant la démission du Président de la République ; que néanmoins, toute affaire dont l’importance dépasse celle des affaires de gestion journalière et qui n’est pas urgente peut néanmoins faire partie des attributions présidentielles courantes, si la procédure qui a donné lieu à l’acte règlementaire concerné a été engagée bien avant la période critique, si elle a ensuite été réglée sans précipitation et si les questions politiques, qui ont pu se poser sur le plan administratif, ont été résolues avant cette période critique ;

Concernant le statut de chef de l’Etat exercé par le Président du Sénat pendant la période de l’intérim

18. Considérant que le pouvoir dévolu au Président de la République ainsi que les attributions et les attributs s’y rapportant, procèdent du suffrage universel dont il est investi, et qu’il n’est pas habilité à déléguer lui-même en raison de la nature de la souveraineté du peuple qui y est rattachée ;

19. Considérant, toutefois, que toute vacance dans l’exercice du pouvoir ne peut exister dans un Etat de droit démocratique ; que cette situation est aménagée et organisée par les dispositions de l’article 52 alinéas premier et 2 de la Constitution, selon lesquelles il est prévu que, « par suite de démission, d’abandon du pouvoir sous quelque forme que ce soit, de décès, d’empêchement définitif ou de déchéance prononcée, la vacance de la Présidence de la République est constatée par la Haute Cour Constitutionnelle » ;

Dès la constatation de la vacance de la présidence, les fonctions du Chef de l’Etat sont exercées par le Président du Sénat » ;

20. Considérant, cependant, qu’en assumant ces fonctions de Chef de l’Etat, le Président du Sénat ne remplace, ni supplée le Président de la République titulaire ; que la vacance de la présidence de la République est suivie de plano par un intérim constitutionnel ; que l’intérim prend fin par l’élection au suffrage universel direct et la prise de fonction du nouveau président de la République, qui a ainsi un mandat plein ;

Concernant le périmètre des attributions dévolues au chef de l’Etat ad intérim

21. Considérant que les attributions exercées par le Chef de l’Etat ad intérim sont circonscrites aux attributions dévolues par la Constitution au Président de la République, mais n’ont aucun lien avec la délégation de pouvoir que celui-ci a reçu du suffrage universel ; que le fonctionnement du pouvoir exécutif durant la période d’intérim ne doit en aucun se traduire par une paralysie de l’Etat ;

22. Considérant qu’en conséquence, ne rentrent pas dans les compétences attribuées au Chef de l’Etat ad intérim celles qui procèdent des articles 45 alinéa 3, 54 ; 55 -2°, 4° sauf en cas de faute grave ou de crime ou délit commis par le haut fonctionnaire, 5°, 6°, 7°, 8° ; 56 ; 57 alinéa premier ; 58 ; 59 alinéa 2 ; 60 ; 61 ; 103 ; 104 ; 107 ; 137 ; 162 ; 163 ; que le Chef de l’Etat ad intérim est habilité à exercer toutes les autres attributions confiées au Président de la République par la Constitution ;

Concernant la portée des dispositions de l’article 46 alinéa 2 au regard de celles des articles 47 et 48 de la Constitution

23. Considérant qu’à l’entame de l’article 46 alinéa 2, il est précisé que « le Président de la République en exercice qui se porte candidat aux élections présidentielles démissionne de son poste soixante jours avant la date du scrutin présidentiel » ;

24. Considérant que, sur le plan strict du droit, l’acte de démission indiqué par l’article 46 alinéa 2 de la Constitution signifie un acte par lequel une personne renonce, spontanément ou sous l’effet d’une contrainte légale, à l’exercice de ses fonctions ; que les effets de la démission sont irrévocables ;

25. Considérant, cependant, qu’aux termes de l’article 48 alinéa premier de la Constitution, « La passation officielle du pouvoir se fait entre le Président sortant et le Président nouvellement élu » ; ce qui indique que le Président sortant qui a démissionné, et dépouillé de toute attribution se voit confier par la Constitution la responsabilité de remettre les fonctions que lui a déléguées le suffrage universel au moment de son accession au pouvoir, au Président nouvellement élu ; qu’une telle disposition porte en son for intérieur une contradiction évidente ;

26. Considérant qu’il conviendrait dans cette situation de préserver les principes fondamentaux du droit et l’esprit du texte de la Constitution ; qu’ainsi, l’acte de démission effectué par le Président de la République soixante jours avant la date du scrutin produit des effets irréversibles ; et que sa présence lors de la passation des pouvoirs n’aurait qu’un caractère strictement symbolique dans le cadre d’un esprit républicain ;

En conséquence,
la Haute Cour Constitutionnelle
émet l’avis que :

Article premier.– Rentrent dans la catégorie juridique des attributions présidentielles courantes, les affaires constituant la poursuite normale d’une procédure régulièrement engagée avant la démission du Président de la République, toute affaire dont l’importance dépasse celle des affaires de gestion journalière si la procédure qui a donné lieu à l’acte règlementaire concerné a été engagée bien avant la période critique et a ensuite été réglée sans précipitation et si les questions politiques, qui ont pu se poser sur le plan administratif, ont été résolues avant cette période critique.

Article 2– Ne rentrent pas dans les compétences attribuées au Chef de l’Etat ad intérim celles qui procèdent des articles 45 alinéa 3, 54 ; 55 -2°, 4° sauf en cas de faute grave ou de crime ou délit commis par le haut fonctionnaire, 5°, 6°, 7°, 8° ; 56 ; 57 alinéa premier ; 58 ; 59 alinéa 2 ; 60 ; 61 ; 103 ; 104 ; 107 ; 137 ; 162 ; 163. Il est habilité à exercer toutes les autres attributions confiées au Président de la République par la Constitution.

Article 3.- La présence du Président de la République sortant et démissionnaire lors de la passation de pouvoirs avec le nouveau Président de la République élu a un caractère strictement symbolique dans le cadre d’un esprit républicain.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le vendredi sept septembre l’an deux mil dix-huit à seize heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur RAKOTOARISOA Jean-Eric, Président
Madame ANDRIANARISOA RAVELOARISOA Fara Alice, Haute Conseillère-Doyenne
Monsieur TSABOTO Jacques Adolphe, Haut Conseiller
Monsieur TIANDRAZANA Jaobe Hilton, Haut Conseiller
Madame RAMIANDRASOA Véronique Jocelyne Danielle, Haute Conseillère
Monsieur DAMA Andrianarisedo Retaf Arsène, Haut Conseiller
Madame RANDRIAMORASATA Maminirina Sahondra, Haute Conseillère
Monsieur ZAFIMIHARY Marcellin, Haut Conseiller
Madame RABETOKOTANY Tahina, Haute Conseillère
Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.