LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que par lettre n°078-AN/P/SG du 1er mai 2007, le Président de l’ Assemblée Nationale consulte la Haute Cour Constitutionnelle pour donner son avis sur l’interprétation des dispositions de l’alinéa 4 de l’article 68 de la Constitution et ce, conformément aux dispositions de l’article 115 de la Constitution ;
Considérant que la saisine, effectuée par un Chef d’Institution, est régulière et recevable ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 68 de la Constitution en son alinéa 4 : « Il (le député) est astreint à l’obligation d’assiduité. En cas d’absence injustifiée, l’indemnité est supprimée de plein droit » ;
Considérant qu’en principe, des dispositions constitutionnelles claires et précises ne donnent pas lieu à interprétation ;
Que toutefois, la juridiction constitutionnelle est amenée à satisfaire à la demande d’interprétation tendant à faire examiner l’esprit du constituant sur les raisons de la constitutionnalisation de l’obligation d’assiduité et de la suppression d’indemnité ;
Considérant que les dispositions constitutionnelles ont consacré les principes de la démocratie représentative, du pluralisme politique ainsi que de la séparation des pouvoirs ; qu’en application de ces principes, la Constitution attribue au Parlement composé de l’Assemblée Nationale et du Sénat la fonction législative ;
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 6 de la Constitution : « La souveraineté appartient au peuple, source de tout pouvoir, qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté » ;
Considérant qu’une fois élu, le député est appelé à exercer une fonction législative, d’une part, et une fonction de contrôle pour la défense de l’intérêt général, d’autre part ;
Que si la fonction législative rentre dans le cadre général du processus d’élaboration de la loi, la fonction de contrôle, quant à elle, s’exerce sur l’activité gouvernementale ;
Considérant ainsi que le député, élu au suffrage universel direct, participe à l’exercice de la souveraineté qui appartient au peuple ;
Considérant que tenant compte de l’importance de la fonction de député, le constituant l’a doté d’un statut individuel destiné à lui permettre d’exercer librement ses attributions et d’assurer en tout moment son indépendance ;
Considérant, d’une part, que la garantie de l’indépendance du député s’effectue par le biais d’une protection générale à travers les immunités constituées par les régimes de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité prévus à l’article 70 de la Constitution et ce, dans le cadre respectivement d’émission d’opinion et de vote ou de commission d’infraction pénale pendant les sessions ;
Que, d’autre part, la garantie de l’indépendance du député nécessite aussi des mesures lui permettant de se libérer des intérêts des particuliers et de ceux des autorités publiques ainsi que de lui assurer un niveau de vie décent ;
Que l’allocation d’indemnité au député compte parmi les mesures sus-visées ;
Considérant en effet qu’aux termes des dispositions de l’article 68 de la Constitution en son alinéa premier : « Le mandat de député est incompatible avec l’exercice de tout autre mandat public électif et de tout emploi public excepté l’enseignement » ;
Considérant qu’en contrepartie d’un statut privilégié accordé à chaque député par la Constitution et en vue de renforcer son indépendance, il est soumis à une obligation de participer à la vie de l’ Assemblée ;
Qu’il s’agit d’une obligation revêtant un caractère professionnel qui est l’obligation d’assiduité ;
Considérant qu’il est constant que l’exercice des compétences attribuées à l’Assemblée Nationale requiert la participation du plus grand nombre de députés plus particulièrement lors des sessions et à tous les stades des travaux parlementaires , notamment aux travaux des commissions permanentes ;
Considérant cependant que force est de constater qu’au fil des législatures successives, l’absentéisme tend à s’installer et à se pérenniser au sein de l’Assemblée, absentéisme susceptible d’entraver le fonctionnement normal de l’Institution et de dévaloriser le mandat représentatif ;
Que par le mandat représentatif, chaque parlementaire n’a pas d’ordre ni instruction à recevoir des électeurs qui l’ont élu ou d’un parti politique qui l’a investi ;
Que certes, le député est censé exercer son mandat suivant sa conscience et dans le respect des règles d’éthique ; qu’à ce titre et à l’occasion des débats au sein de l’Institution, il a la liberté de parole et d’opinion ainsi que celle de voter dans le sens qu’il estime correspondre à l’intérêt général, mais que l’exercice de ces libertés requiert sa présence aux séances programmées ;
Que c’est dans le but utile d’aboutir à la présence effective du plus grand nombre de députés tant aux sessions qu’aux séances qui y sont rattachées que le constituant a tenu à insister spécialement sur l’obligation d’assiduité et la suppression du droit à l’indemnité en cas d’absence injustifiée ;
Qu’en fait, il ne s’agit pas d’une nouvelle règle mais de dispositions déjà existantes dans le règlement intérieur de l’ Assemblée et qui n’ont pas toujours été systématiquement appliquées ;
Que la constitutionnalisation de ladite règle vise à responsabiliser davantage et le député et l’organe d’administration qu’est le Bureau permanent de l’ Assemblée qui, chacun en ce qui le concerne, doit respecter les dispositions constitutionnelles et doit prendre les mesures qui s’imposent ;
Considérant qu’en tout état de cause, en application des dispositions de l’alinéa 4 de l’article 68 de la Constitution, seule l’absence injustifiée entraîne de plein droit la suppression d’indemnité ;
Qu’il en découle, d’une part, que les excuses présentées par un député et servant de justification de l’absence sont appréciées par le Bureau permanent conformément aux prescriptions du règlement intérieur de l’ Assemblée ;
Que, d’autre part, en cas d’absence injustifiée, la suppression d’indemnité s’opère de plein droit, c’est-à-dire que son application ne nécessite ni l’appréciation du Bureau permanent ou d’une commission permanente, ni le vote en séance plénière, ni un acte préalable du pouvoir exécutif ;
Considérant, enfin, que l’objectif recherché par le constituant consiste à instaurer une discipline dictée surtout par le devoir moral d’honorer la confiance accordée par les citoyens au député, de respecter l’ Institution et, par conséquent, de renforcer sa crédibilité, son efficacité et sa dignité ;
En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :
Article premier.– Les dispositions de l’article 68, alinéa 4, de la Constitution, doivent s’appliquer restrictivement.
Article 2.– L’obligation d’assiduité consiste en une obligation de présence à tous les travaux programmés pendant la session.
Article 3.– Toute absence injustifiée entraîne de plein droit la suppression de l’indemnité correspondant à ladite absence.
Article 4.- Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo le mercredi seize mai l’an deux mil sept à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON née RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA née RASOAZANAMANGA Rahelitine , Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
Mme DAMA née RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef.