La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la Charte Internationale des Droits de l’Homme, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques et la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme ;

Vu la Délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle modifiée et complétée par la Délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 2021 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que par lettre n°107-PRM/SGP/SGA/DEJ/2022 en date du 04 juillet 2022, le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, a saisi la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité avant sa promulgation, de la loi n°2022-003 sur la participation des femmes aux postes de décision ;

2- Considérant que selon l’article 116.1 de la Constitution, la Haute Cour Constitutionnelle « statue sur la conformité à la Constitution, des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que selon l’article 117 de la loi fondamentale : « avant leur promulgation, les lois organiques ; les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution » ;

3.Considérant que la loi n°2022-003 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat lors de leurs séances respectives des 23 mai 2022, 03 juin 2022 et 16 juin 2022 ;

4.Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;

AU FOND

  1. Considérant que la Constitution Malagasy en son préambule reconnait que l’épanouissement de la personnalité et de l’identité de tout Malagasy est le facteur essentiel du développement durable et intégré, dont parmi les conditions  le respect et la protection des libertés fondamentales et l’élimination de toutes formes d’injustice, de corruption, d’inégalité et de discrimination ; que le développement ne peut se faire que par la mise en place d’un cadre de vie permettant le « vivre ensemble » sans distinction (…) de sexe ;

Que le droit positif malagasy a fait siens les différents conventions et traités internationaux éliminant toute forme de discrimination basée sur le genre entre autres : la Charte Internationale des Droits de l’Homme, les conventions relatives aux droits de l’enfant et de la femme notamment les pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, et celui relatifs aux droits économiques et socio-culturels, la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme ;

  1. Considérant que l’article 6 alinéas 2 et 3 de la Constitution dispose que « Tous les individus sont égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans discrimination fondée sur le sexe (…) , la loi favorise l’égal accès et la participation de la femme et des hommes aux emplois publics et aux fonctions dans le domaine de la vie politique , économique et sociale » ; que  le constituant  en utilisant le verbe « favoriser » a permis au législateur de prendre des dispositions à caractère incitatif en établissant des règles favorables à la parité dans toute  loi, prise dans son sens large ; que la parité ne constitue ni un droit ni une liberté mais un objectif constitutionnel à prendre en compte dans le travail législatif ainsi que dans tout processus de prise de décision ;

Que le principe d’égalité et de non-discrimination provenant de l’article 6 de la Constitution ne s’oppose pas à ce que le législateur puisse prendre les mesures exigées par les nécessités d’intérêt général ou corriger les inégalités flagrantes dans la société et ce, dans un temps limité comme dans le cadre du contingentement par circonscription dans le recrutement dans la fonction publique prévu par l’article 27alinéa 3 de la Constitution ;

Que par ces dispositions, le législateur entend honorer les engagements découlant de la ratification par Madagascar des instruments juridiques internationaux et régionaux garantissant l’égalité de droits entre homme et femme notamment le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme ;

  1. Considérant que les articles 27 alinéa 2 et 28 ajoutent que « l’accès aux fonctions publiques est ouvert à tout citoyen sans autres conditions que celles de la capacité et des aptitudes», « nul ne peut être lésé dans son travail ou dans son emploi en raison du sexe (…) » ; 

Qu’en mettant comme seule condition d’accès à  l’activité professionnelle les aptitudes et la capacité,  sans aucune autre forme de discrimination notamment basée sur le genre,  le constituant entend donner la même chance à chaque genre « l’accès » à l’épanouissement professionnel ; que cela ne peut se faire qu’en garantissant à chaque individu, sans distinction de sexe, le droit au développement intellectuel, à l’instruction, à l’éducation accessible à tous tel que les articles 22, 23 et 24 de la Constitution le prévoient ; que le constituant entend ainsi proscrire toute forme de discrimination quelle qu’elle soit ;

Que l’adoption de mesures temporaires et spéciales visant à accélérer l’objectif concret d’égalité de fait ou réelle entre l’homme et la femme doit tenir compte de l’exercice d’autres droits et libertés constitutionnellement garantis notamment en ce qui concerne l’élection à des fonctions politiques ou à des charges publiques dans lesquelles des facteurs, autres que les qualifications et le mérite, doivent également être pris en considération, en particulier le principe de séparation des pouvoirs,  le respect des règles démocratiques, la liberté des partis politiques et surtout l’exercice de la souveraineté par le peuple ;

Concernant la représentation hommes-femmes dans les postes nominatifs (article 3 tiret 1, articles  4 et 5 de la loi déférée :

  1. Considérant cependant que l’article 55-4° de la Constitution dispose que : « Le Président de la République procède en Conseil des Ministres aux nominations dans les hauts emplois de l’Etat dont la liste est fixée par décret pris en Conseil des Ministres » ;

Que la loi déférée en son article 5 énonce une obligation de respect des principes de parité dans le cadre des nominations dans les postes énumérés à l’article 4 de la proposition de loi, que les modalités d’exécution dudit article seront fixées par voie règlementaire ;

Que pour reprendre l’esprit sus énoncé de l’article 6 de la Constitution, le constituant a tenu à inciter les autorités étatiques à l’égalité homme-femme dans les emplois publics ; que toutefois la nomination à ces postes relèvent du pouvoir propre et discrétionnaire du Président de la République ou du Conseil des Ministres ; qu’en utilisant le verbe « devoir », le législateur a outrepassé sa compétence en enjoignant l’exécutif, dans l’édiction de ses actes dont certains sont des actes de gouvernement, au respect strict des principes de parité, ce qui n’est pas conforme à l’esprit incitatif établi par l’article 6 de la Constitution exposé précédemment ;

Que les dispositions du premier tiret de l’article 3, les articles 4 et 5 de la loi déférée sur la représentation hommes-femmes dans les postes nominatifs ne sont pas conformes à la Constitution.

Concernant la représentation femmes-hommes dans les fonctions électives (article 3 tiret 2, articles 6 et 7 )

  1. Considérant que l’article 88 de la Constitution dispose  : « Outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution, relèvent d’une loi organique :
    1° les règles relatives à l’élection du Président de la République ;
    2° les modalités de scrutin relatives à l’élection des députés, les conditions d’éligibilité, le régime d’incompatibilité et de déchéance, les règles de remplacement
     

en cas de vacance, l’organisation et le fonctionnement de l’Assemblée nationale ;
3° les modalités de scrutin relatives à l’élection des sénateurs, les conditions d’éligibilité, le régime d’incompatibilité et de déchéance, les règles de remplacement en cas de vacance, l’organisation et le fonctionnement du Sénat ; (…)
10° le Code électoral ; » ;

Que l’article 6 de la loi n°2022-003 dispose que « Nonobstant les dispositions légales concernant les différentes catégories d’élections ainsi que celles portant sur l’organisation des partis politiques, une proportion de 50% est requise concernant la présentation des candidats par les partis politiques. Elle est incluse par les diverses catégories d’élections. Des dispositions réglementaires préciseront les modalités d’exécution du présent article. » ;
Que l’article 7 ajoute que « lors des catégories d’élections mentionnées à l’article 6, chaque candidat femme-homme est tenu de contribuer équitablement aux charges électorales qui incombent aux partis politiques ou groupement de partis politiques » ;

10.Considérant que, s’il appartient au législateur ordinaire agissant dans le cadre des articles 151, 156 et 160 de la Constitution de fixer les conditions relatives aux élections territoriales, il n’en est pas de même en ce qui concerne les élections politiques telles que les présidentielle, législatives et sénatoriale dont le soin d’en fixer les conditions est confié au législateur organique conformément à l’article 88 suscité ;

Que d’une part, en adoptant des règles régissant les élections dévolues au domaine de la loi organique  dans une loi ordinaire et dont les modalités d’exécution sont confiées au pouvoir règlementaire, que d’autre part, en revêtant un caractère général à la rédaction de ces articles entraînant ainsi une incohérence manifeste dans le système législatif, le législateur  a omis de considérer  l’objectif constitutionnel de l’intelligibilité de la loi et a également violé  les dispositions de l’article 88 de la Constitution ; que dans ces conditions, les articles 3 tiret 2,  6 et 7  de la loi n°2022-003 ne sont pas conformes à la Constitution ;

Concernant les articles 10 et 11 de la loi n°2022-003

  1. Considérant que l’article 88-5° et 9°de la Constitution dispose que « Outre les questions qui lui sont renvoyées par d’autres articles de la Constitution, relèvent d’une loi organique :
    5° l’organisation, la composition, le fonctionnement et les attributions de la Cour suprême et des trois cours la composant, celles relatives à la nomination de leurs membres ainsi que celles relatives à la procédure applicable devant elles ;
    9° l’organisation, le fonctionnement, les attributions, la saisine et la procédure à suivre devant la Haute Cour constitutionnelle; » ;
     

Que toutefois les articles 10 et 11 de la loi déférée prévoient que : « la Haute Cour Constitutionnelle et les juridictions administratives statuent en fonction des contentieux relevant de leurs compétences respectives. Toute personne ayant justifié d’un intérêt légitime peut saisir les juridictions compétentes » ;

Que ces dispositions relèvent également du domaine de la loi organique et non d’une loi ordinaire ; que par conséquent  le législateur a violé l’article 88-5° et 9° de la Constitution ;

  1. Considérant que les autres dispositions de la loi déférée entre autres l’article premier portant sur l’objet, l’article 2 sur la définition des termes utilisés dans la loi, les articles 8 et 9 sur l’observatoire du genre, et les articles 12 et 13 sur les dispositions finales sont inséparables des dispositions déclarées non conformes à la Constitution ; que l’essence du texte réside dans les Chapitres II et IV intitulés successivement  « De la représentation Femmes-Hommes» et « Des voies de recours au manquement au principe de parité Femmes-Hommes », car sans lesquelles dispositions, elle n’est qu’une simple expression de  philosophie et est dépourvue de sa qualité de norme ; que le législateur demeure soumis à l’exigence de valeur constitutionnelle de normativité,  d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi qui lui impose d’édicter des normes cohérentes, suffisamment claires et précises afin de prémunir les sujets de droit contre l’arbitraire, les applications et interprétations contraires à la Constitution ;

Que de tout ce qui précède, il échet de déclarer la loi n°2022-003 non conforme à la Constitution ;

EN CONSEQUENCE,

DECIDE :

 Article premier. – La saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.

Article 2.– La loi n°2022-003 sur la participation des femmes aux postes de décision, est déclarée non conforme à la Constitution.

Article 3.– La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat, et publiée au Journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en ses audiences privées tenues à Antananarivo, les mercredi treize juillet et vingt-et-un septembre l’an deux mille vingt-et-deux à neuf heures trente minutes, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président

Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen

Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller

Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane , Haut Conseiller

Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller

Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller

Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller

Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette, Haut Conseiller

Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assisté de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.