La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la Délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant Règlement Intérieur de la Haute Cour constitutionnelle modifiée et complétée par la Délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 2021 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
1.Considérant que par lettre n°167-PRM/SGP/SGA/DEJ/2022 du 26 décembre 2022, le Président de la République, conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, a saisi la Haute Cour Constitutionnelle aux fins de contrôle de constitutionnalité, préalablement avant sa promulgation, de la loi n°2022-022 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique ;
2.Considérant que l’article 116.1 de la Constitution, dispose que « la Haute Cour Constitutionnelle statue sur la conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances et des règlements autonomes » ; que les dispositions de l’article 117 de la Constitution, énoncent que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. » ;
3.Considérant que la loi n°2022-022 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat lors de leurs séances respectives en date du 29 novembre 2022 et du 15 décembre 2022 ;
4.Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;
AU FOND
5.Considérant que l’article 120 in fine de la Constitution dispose que « Les arrêts et décisions de la Haute Cour Constitutionnelle sont motivés ; ils ne sont susceptibles d’aucun recours. Ils s’imposent à tous les pouvoirs publics ainsi qu’aux autorités administratives et juridictionnelles. » ; que les décisions rendues par la Haute Cour sont revêtues de l’autorité de la chose jugée et ne peuvent être remises en cause sauf avènement d’un élément nouveau ;
Que le fait par le législateur de présenter une nouvelle mouture de texte législatif ou d’une loi déjà déclarée non conforme à la Constitution par la Haute Cour Constitutionnelle concernant une même matière et reproduisant les mêmes articles, est considéré comme une forme de recours exercé par le législateur et encourt la même censure pour les mêmes motifs ;
6. Considérant que la Cour de céans, par décision n°03-HCC/D3 du 9 février 2022, a déclaré non conforme à la Constitution la loi n°2021-028 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique ; que la présente loi déférée pour contrôle de constitutionnalité traite de la même matière ; qu’une fois de plus, le législateur a omis de définir d’une manière précise, claire et cohérente les termes: autonomie, université, établissement public d’enseignement supérieur et de recherche scientifique dans la loi déférée ; que cette omission, allant à l’encontre de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et de clarté de la loi, a déjà été rappelée dans le considérant 12 de ladite décision ;
7.Considérant que, dans son exposé des motifs, le législateur invoque la décision de la Haute Cour Constitutionnelle n°10-HCC/D3 du 3 juillet 2020 concernant les textes régissant les Etablissements publics et les Universités publiques par interprétation de l’article 95 de la Constitution ; que cet article est clair dans sa rédaction et ne peut être sujet à interprétation ;
Qu’en décidant qu’il appartient au législateur de mettre en œuvre rapidement l’article 95.14° de la Constitution en adoptant une loi relative au statut et au régime d’autonomie des universités, cette décision n’est permissive que de l’élaboration d’une nouvelle loi sur l’autonomie des universités et ne permet en aucun cas d’aller à l’encontre des dispositions constitutionnelles et des principes à valeur constitutionnelle ;
Sur l’objet de la loi en son article 1er
8.Considérant que l’article 95-14° de la Constitution prévoit uniquement l’adoption d’une loi sur l’autonomie des universités ainsi que le statut des enseignants de l’enseignement supérieur ; que le régime juridique des Instituts Supérieurs de Technologie (IST), des Centres Nationaux de Recherche et du CNTEMAD ne relève pas de la loi sur l’autonomie des universités ; que l’omission de la définition des termes « universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche scientifique » a conduit la Cour de céans à censurer la loi qui lui a été soumise pour l’irrespect de l’objectif constitutionnel de l’intelligibilité de la loi ; que l’article 95-13° de la Constitution prévoit, certes, la possibilité pour le législateur de créer ou d’ériger les établissements publics d’enseignements en une nouvelle catégorie d’établissements tel que l’exposé des motifs de la loi soumise au contrôle le laisse entendre ; qu’il ne peut cependant pas le faire en omettant de définir d’abord le terme « université » ;
Que la Haute Cour Constitutionnelle, par sa décision n°03-HCC/D3 du 9 février 2022, en ses considérants 5, 6 et 7, a déjà précisé que la loi déférée doit se limiter uniquement sur l’autonomie des universités et que le statut et le régime « des Etablissements Publics et d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique » non prévus par la loi fondamentale, en vertu de l’article 97 de la Constitution, doivent relever du domaine réglementaire ;
Que par conséquent, les termes « et des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche scientifique » ne sont pas conformes à la Constitution et déjà déclarés comme tels ;
Qu’il en est de même des articles 4.2 à 4.5 ;
Que l’article 4.5 doit concerner uniquement les universités ;
Que l’article 6 est également non conforme à la Constitution en ce qu’il inclut les Instituts Supérieurs de Technologie (IST), les Centres Nationaux de Recherche et le CNTEMAD ;
Sur les articles 2 : 2.3 et 12
- Considérant que l’article 2 : 2.3 sur la franchise universitaire dispose : « …le statut dont bénéficient les enseignants et chercheurs selon lequel ils ne peuvent être inquiétés ou poursuivis judiciairement dans le cadre de leurs activités universitaires» ; que selon l’article 12 : « conformément aux dispositions de l’article 20 ci-dessous, les enseignants et chercheurs ne peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires en raison des enseignements qu’ils dispensent, des recherches qu’ils effectuent ou qu’ils publient ou qu’ils communiquent par voies de médias dans le respect de l’éthique et de la déontologie» ;
- Considérant que la lecture de la loi déférée a fait ressortir que le législateur confond la liberté ou franchise universitaire et immunité juridictionnelle en matière pénale ; que le principe universel de la liberté universitaire, un des composants de l’autonomie des universités, implique effectivement que les enseignants chercheurs jouissent d’une pleine liberté dans leurs activités d’enseignements et de recherche ; que cependant comme toute liberté, la liberté universitaire dont le corollaire n’est autre que la liberté d’expression, de conscience, d’opinion et de communication dans le cadre de la transmission du savoir ou de la recherche, ne peut pas se soustraire aux limites posées par l’ article 10 de la Constitution, à savoir : « le respect des libertés et droits d’autrui et par l’impératif de sauvegarde de l’ordre public, de la dignité nationale et de la sécurité de l’Etat », et par l’article 16 qui dispose que « Dans l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Constitution, tout individu est tenu au devoir de respect de la Constitution, des Institutions, des lois et règlements de la République. », ainsi qu’aux limites posées par l’éthique et la déontologie des enseignants chercheurs et des chercheurs enseignants ;
- Considérant que la Haute Cour Constitutionnelle, par sa décision n°03-HCC/D3 du 9 février 2022 ci-dessus invoquée, a déjà déclaré non conforme à la Constitution le fait d’octroyer une immunité juridictionnelle aux enseignants et chercheurs car heurtant l’article 6 de la loi fondamentale en ce qu’il viole le principe d’égalité de tous devant la loi ; qu’en outre, le principe de l’autonomie des universités posé par le constituant ne justifie pas à ce que soit dérogé le principe d’égalité de tous devant la loi ;
Concernant l’article 17 de la proposition de loi
- Considérant que la loi organique n°2004-007 du 26 Juillet 2004 sur les lois de finances a valeur de « constitution budgétaire et financière » ; que les grands principes budgétaires sont universels et s’imposent à toute gestion budgétaire ; que la nécessité d’autonomie administrative et financière posée par le constituant ne soustrait pas les universités aux respects desdits principes ; qu’en autorisant l’ouverture de comptes bancaires « par les présidents des universités, les directeurs généraux des IST ou des directeurs des CNR» tel qu’il est mentionné à l’article 17 de la loi déférée, le législateur se heurte à plusieurs principes dont celui de la séparation des fonctions des ordonnateurs et des comptables publics et celui de l’unicité de caisse;
- Considérant en effet qu’en premier lieu, les présidents des universités, les directeurs généraux des IST ou les directeurs des CNR sont en charge de la gestion de ces établissements tel qu’il est mentionné à l’article 13 de la même loi et sont par conséquent, sur le plan budgétaire et financier, les ordonnateurs du budget de leur établissement ; qu’en les autorisant à ouvrir un compte bancaire au nom de l’établissement, le législateur crée une situation de gestion de fait « généralisé » laissant des ordonnateurs manier des fonds publics à la place du comptable public, seul autorisé à le faire tel qu’il est prévu par la loi organique sur les lois de finances; qu’en second lieu, en limitant la fonction du comptable public uniquement à la gestion des subventions allouées par l’Etat, le législateur remet en cause le principe d’unicité de caisse lequel exige que toutes les ressources d’un établissement public soient versées dans une seule caisse et soient gérées uniquement par le comptable public qui est responsable personnel et pécuniaire de sa gestion
Que les dispositions de l’article 17 reformulées de la loi déférée ne sont pas conformes à la Constitution ;
- Considérant de tout ce qui précède que les articles 2 : 2.3 et 12, 1, 4.2 à 4.5, 17 de la loi n°2022-022 sur l’autorité des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique, ne sont pas conformes à la Constitution ; que dans la mesure où ces articles constituent l’essence et la substance même du texte et qu’ils sont inséparables de l’ensemble de la loi, il convient de déclarer la loi n°2022-022 non conforme à la Constitution et qu’elle ne peut être promulguée ;
EN CONSEQUENCE,
DECIDE :
Article premier– La saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.
Article 2– Les dispositions relatives aux Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique relèvent du domaine règlementaire.
Article 3– La loi n°2022-022 sur l’autonomie des Universités et des Etablissements Publics d’Enseignement Supérieur et de Recherche Scientifique n’est pas conforme à la Constitution et ne peut être promulguée.
Article 4– La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat, et publiée au Journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi sept juin l’an deux mille vingt-trois à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller
Et assisté de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.