LA HAUTE COUR CONSTITUTIONNELLE,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;
Les rapporteurs ayant été entendus ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Considérant que par lettre n°194-AN/P/SG du 8 août 2005, enregistrée au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 9 août 2005 sous le numéro 342, le Président de l’Assemblée Nationale saisit la Haute Cour Constitutionnelle sur l’interprétation de l’article 93 de la Constitution quant aux domaines pouvant faire l’objet de la création d’une commission d’enquête parlementaire ;
Considérant qu’à l’appui de sa demande, il expose que l’Assemblée Nationale, en sa commission plénière en date du 29 juillet 2005, a décidé à main levée de créer une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les faits reprochés aux membres du bureau permanent de l’Institution ; qu’il estime que la création de ladite commission est irrégulière comme rentrant en violation des dispositions de la Constitution et de celles du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale ;
Qu’il soutient, en effet, qu’à la lecture de l’article 93 de la Constitution, une commission d’enquête parlementaire fait partie des moyens d’information du Parlement à l’égard de l’action gouvernementale et qu’elle ne peut être ainsi destinée à l’ouverture d’enquête à l’encontre des membres du bureau permanent de l’Assemblée Nationale ;
Qu’au surplus et à titre subsidiaire, le demandeur soulève le non respect de l’article 124 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale en l’absence d’une proposition de résolution présentée par huit députés au moins et un vote favorable de l’Assemblée auxquels est soumise au préalable la création d’une commission d’enquête parlementaire et, par ailleurs, doute de l’impartialité de ladite commission composée pour la plupart des signataires de la motion de destitution ;
En la forme :
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 123 de la Constitution, « La Haute Cour Constitutionnelle peut être consultée par tout Chef d’institution et tout organe des provinces autonomes pour donner son avis sur la constitutionnalité de tout projet d’acte ou sur l’interprétation d’une disposition de la présente Constitution. » ;
Considérant que la consultation de la juridiction constitutionnelle par le Président de l’Assemblée Nationale, en sa qualité de Chef d’institution, tend à l’interprétation de l’article 93 de la Constitution, spécialement sur la création d’une commission d’enquête parlementaire, dans le cadre d’une motion de destitution en instance à l’Assemblée Nationale ;
Qu’ainsi, la Cour de céans est régulièrement saisie ;
Au fond :
Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article 70 de la Constitution, « Le Président de l’Assemblée Nationale et les membres du bureau sont élus au début de la première session pour la durée de la législature. Toutefois, ils peuvent être démis de leurs fonctions respectives de membres du bureau pour motif grave, par un vote des deux tiers des députés. » ;
Considérant qu’il découle de ces dispositions qu’en raison, d’une part, de l’importance de la charge du bureau permanent ayant un impact certain sur la gestion de l’intérêt national et, d’autre part, afin de préserver une nécessaire stabilité institutionnelle, garante d’un fonctionnement régulier de l’institution, la Constitution a posé comme règle, l’élection du Président et des membres du bureau pour la durée du mandat des membres de l’Assemblée Nationale et comme exception, la possibilité de leur destitution par la seule Assemblée Nationale et ce, pour motif grave ;
Considérant toutefois que ni les dispositions constitutionnelles ni le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale n’ont fixé les règles organisant la destitution qui se définit pourtant comme une véritable compétence à sanctionner, compétence attribuée par l’article 70 sus – cité de la Constitution à la commission plénière de l’Assemblée Nationale ;
Qu’en effet, il y a lieu de se rendre à l’évidence que :
– en premier lieu, les commissions organisées par le règlement intérieur, en son article 40, n’ont reçu compétence que pour l’examen des affaires nationales sans la moindre référence à la motion de destitution qui relève des affaires internes de l’Assemblée Nationale ;
– en outre, la création d’une commission parlementaire prévue par l’article 93 de la Constitution et organisée par les articles 117 et 124 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, n’est expressément prévue que dans le cadre du contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale ; qu’en effet, aux termes de l’article 93 de la Constitution, repris à l’article 117, alinéa 2, du règlement intérieur, « Les moyens d’information du Parlement à l’égard de l’action gouvernementale sont : la question orale, la question écrite, l’interpellation et la commission d’enquête. » ;
Considérant que le silence des textes en vigueur sur les modalités d’exercice d’une compétence attribuée par la Constitution ne saurait faire obstacle à la mise en œuvre de ladite compétence, l’Assemblée Nationale pouvant toujours se référer à son mode usuel de délibération applicable en matière législative ;
Qu’il est d’usage que toute délibération de l’Assemblée Nationale doit être prise sur la base d’un rapport préalable d’une commission compétente ; que dans le cas d’espèce, une commission spéciale ou ad hoc peut être régulièrement créée en vue de l’examen au fond de la motion de destitution avant sa présentation au vote de la commission plénière ;
Qu’il est également d’usage qu’une telle commission, chargée d’examiner les prétentions des parties au fond, doit se référer aux dispositions légales et réglementaires régissant les pouvoirs du bureau permanent et de chaque membre dudit bureau, la responsabilité fautive étant personnelle et non collective ;
Qu’il revient également à ladite commission d’établir un rapport susceptible d’être accompagné d’un projet de résolution tendant à solutionner la question soit par un rejet, une adoption dudit rapport ou la demande d’un complément d’investigations mené éventuellement par un ou des organes tant légalement que techniquement compétents pour y procéder, en fonction de la nature des faits reprochés ou de leur qualification ;
Qu’en tout cas, seule l’Assemblée plénière est habilitée par la Constitution, en son article 70, à apprécier le fondement de la destitution sur la base du rapport de ladite commission ;
Considérant, enfin, que la mise en œuvre de la mesure exceptionnelle prévue à l’article sus – évoqué doit respecter les principes de droit consacrés par la Constitution tels que le principe du droit de la défense, celui de la séparation des pouvoirs et celui de l’équité ; que les motifs invoqués à l’appui de la demande de destitution, sous peine de porter atteinte aux principes de l’Etat de droit et de la démocratie, sont appelés à viser, au cas par cas, les dispositions constitutionnelles et légales en vigueur objet de violation, la gravité desdits motifs étant laissée à l’appréciation souveraine de l’Assemblée Nationale ;
En conséquence,
La Haute Cour Constitutionnelle émet l’avis que :
Article premier.– La commission d’enquête parlementaire prévue à l’article 93 de la Constitution et à l’article 124 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale constitue un des moyens d’information et de contrôle du Parlement à l’égard de l’action gouvernementale et ne peut servir dans le cadre d’une motion de destitution du Président et des membres du bureau de l’Assemblée Nationale.
Article 2.– Le présent avis sera publié au journal officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo le mercredi trente et un août l’an deux mil cinq à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
M. RAJAONARIVONY Jean-Michel, Président
M. IMBOTY Raymond, Haut Conseiller – Doyen
Mme RAHALISON née RAZOARIVELO Rachel Bakoly, Haut Conseiller
M. RABENDRAINY Ramanoelison, Haut Conseiller
M. ANDRIAMANANDRAIBE RAKOTOHARILALA Auguste, Haut Conseiller
Mme RASAMIMANANA née RASOAZANAMANGA Rahelitine , Haut Conseiller
M. RABEHAJA-FILS Edmond, Haut Conseiller
M. RAKOTONDRABAO ANDRIANTSIHAFA Dieudonné, Haut Conseiller
Mme DAMA née RANAMPY Marie Gisèle, Haut Conseiller
et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en chef.