La Haute Cour Constitutionnelle,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à La Haute Cour Constitutionnelle ;
Vu la délibération n°02-HCC/DB du 17 septembre 2021 portant règlement intérieur de la Haute Cour Constitutionnelle modifiée et complétée par la délibération n°03-HCC/DB du 26 octobre 2021 ;
Vu le Code pénal malgache ;
Vu la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 ;
Vu la loi déférée ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
En la forme
- Considérant que par lettre n°009/PRM/SGP/SGA/DEJ/2024 du 11 janvier 2024, reçue et enregistrée au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 12 janvier 2024, le Président de la République conformément aux dispositions de l’article 117 de la Constitution, a saisi la Cour de céans aux fins de contrôle de constitutionnalité préalablement à sa promulgation, de la loi n°2023-024 sur la protection spéciale des personnes atteintes d’albinisme ;
- Considérant que l’article 116 alinéa 1 de la Constitution dispose que « La Haute Cour Constitutionnelle statue sur la Conformité à la Constitution des traités, des lois, des ordonnances, et des règlements autonomes. » ; que les dispositions de l’article 117 de la Constitution énoncent que « Avant leur promulgation, les lois organiques, les lois et les ordonnances sont soumises obligatoirement par le Président de la République à la Haute Cour Constitutionnelle qui statue sur leur conformité à la Constitution. » ;
- Considérant que la loi n°2023-024 a été adoptée par l’Assemblée Nationale et le Sénat en leurs séances respectives du 14 décembre 2023 et 15 décembre 2023 ;
- Considérant qu’il résulte des dispositions sus-rappelées que ladite loi est soumise à un contrôle obligatoire de Constitutionnalité ; que la saisine introduite par le Président de la République, régulière en la forme, est recevable ;
Au Fond
- Considérant que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 à laquelle Madagascar a adhéré, a proclamé que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés sans distinction aucune ;Que la Constitution dans son préambule affirme que l’élimination de toutes les formes d’injustice, d’inégalité et de discrimination ainsi que la préservation de la sécurité humaine, contribuent à l’épanouissement de la personnalité et de l’identité de tout Malagasy, facteur essentiel de développement durable ;Qu’ainsi l’article 8 de la loi fondamentale prévoit que le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi et nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ; que suivant les articles 17 et 21, l’Etat protège et garantit l’exercice des droits qui assurent à l’individu son intégrité et la dignité de sa personne, son plein épanouissement physique, intellectuel, moral et assurent la protection de la famille pour son libre épanouissement ainsi que celle de l’enfant par une législation et des institutions sociales appropriées ;
- Considérant que la présente loi a pour objet de garantir aux personnes atteintes d’albinisme une protection spéciale ; que les Chapitres I à III constituent une application des dispositions constitutionnelles suscitées, en faisant bénéficier à ces individus en raison de leur vulnérabilité, de mesures spéciales de protection à caractère administratif, social, juridique, éducatif et sanitaire ;
- Considérant par ailleurs qu’en dépit des instruments juridiques et engagements existants, les personnes atteintes d’albinisme se voient de plus en plus exposées à de multiples actes de violence en raison de leur particularité ; que préoccupé par le fait, le législateur veut intervenir pour compléter l’arsenal juridique actuel et renforcer la répression desdits actes ;Que dès lors, l’article 24 énonce: « Toute atteinte à l’intégrité physique d’un individu en raison d’un caractère génétique lié à sa personne, ainsi que tout crime rituel pratiqué à des fins de charlatanisme ou toute autre forme de sacrifice humain sur une personne atteinte d’albinisme sont considérés comme une circonstance aggravante dans la considération d’une infraction pénale. Les peines prononcées sont celles prévues au Code Pénal Malagasy. » ;
- Considérant que l’objectif du législateur dans la rédaction de la loi soumise au contrôle est d’attribuer aux personnes atteintes d’albinisme une protection spéciale ; que cependant, une contradiction réside dans la rédaction de l’article 24 sus cité et l’objectif à poursuivre en ce que la qualité de la victime constitue une circonstance aggravante alors que les peines prévues sont les mêmes que celles qui sont prévues au Code pénal ;
- Considérant par ailleurs qu’en premier lieu, aucune disposition du Code pénal ne prévoit de crime rituel ou de toute autre forme de sacrifice humain ; qu’en second lieu, le législateur n’a pas clairement défini les peines applicables, se contentant uniquement de renvoyer au Code pénal ; qu’une sanction pénale adéquate à chaque type d’atteinte corporelle contre une personne atteinte d’albinisme devrait être spécifiée afin de permettre aux juges de statuer sans difficulté et aux justiciables de connaître leurs droits, comme procèdent d’autres textes de loi antérieurs spécialement adoptés pour certaines catégories d’infractions ;
- Considérant que les dispositions de la loi déférée concernant la répression sur laquelle repose essentiellement son efficacité, sont rédigées de la même manière, floue et imprécise, notamment quant à la peine à appliquer, à l’exception de l’article 25 sur la discrimination à l’égard des personnes atteintes d’albinisme ;
Qu’il est à souligner que la peine de 10 à 20 ans de servitude pénale prévue par l’article 27 alinéa 2 pour les infractions d’enlèvement, d’arrestation, de séquestration, suivies de tortures corporelles, est moins sévère que celle des travaux forcés à perpétuité prévue par le Code pénal, la peine de mort ayant été abolie par la loi n°2014-035 du 09 janvier 2015 ; que de surcroît une définition de ce que le législateur entend attribuer à la peine « servitude pénale » n’a été donnée ni par le Code pénal ni par la loi déférée;
- Considérant que les articles 24 à 29 constituent de par leur nature, l’essence et la substance même du texte et ne peuvent pas être détachés de l’ensemble de la loi ;
Que le principe de l’interprétation stricte des lois pénales interdit aux juges d’en modifier le sens, d’en étendre le domaine par analogie à des cas qu’elles n’ont pas expressément prévus ;
Qu’enfin, l’objectif constitutionnel d’accessibilité, de clarté, d’intelligibilité impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises, dépourvues d’équivoque, afin d’éviter tout arbitraire de la part du juge et de permettre une application égalitaire de la loi laquelle est censée être la même pour tous ;
- Considérant de ce qui précède qu’il convient de déclarer la loi n°2023-024 non conforme à la Constitution et qu’elle ne peut pas être promulguée ;
EN CONSEQUENCE
DECIDE
Article 1.-La saisine du Président de la République, régulière en la forme, est recevable.
Article 2.-La loi n°2023-024 sur la protection des personnes atteintes d’albinisme n’est pas conforme à la Constitution et ne peut être promulguée.
Article 3.-La présente décision sera notifiée au Président de la République, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, à la Présidente de l’Assemblée Nationale, au Président du Sénat et publiée au Journal Officiel de la République.
Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le mercredi sept février l’an deux mille vingt-quatre à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :
Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Madame RAKOTONIAINA RAVEROHANITRAMBOLATIANIONY Antonia, Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA Rondro Lucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller
Et assisté de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.