La Haute Cour Constitutionnelle,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n°2001-003 du 18 novembre 2001 portant loi organique relative à la Haute Cour Constitutionnelle ;

Vu la loi organique n°2018-008 du 11 mai 2018 relative au régime général des élections et des référendums ;

Vu la loi organique n°2018-010 du 11 mai 2018 relative à l’élection des Députés à l’Assemblée Nationale ;

Vu la loi n°2015-020 du 20 octobre 2015, relative à la structure nationale indépendante chargée de l’organisation et de la gestion des opérations électorales dénommée « Commission Electorale Nationale Indépendante » ;

Vu le décret n°2024-243 du 13 février 2024 portant convocation des électeurs pour les élections législatives ;

Vu le décret n°2024-244 du 13 février 2024 fixant le montant de la contribution des candidats aux frais d’impression des bulletins de vote pour les élections législatives ainsi que leurs modalités de remboursement et de reversement ;

Vu le décret n°2024-582 du 13 mars 2024 fixant le nombre des membres de l’Assemblée Nationale, la répartition des sièges sur l’ensemble du territoire national ainsi que le découpage des circonscriptions électorales pour les élections législatives ;

Vu le décret n°2024-644 du 14 mars 2024 fixant les modèles des pièces à fournir par tout candidat aux élections législatives ;

Vu le décret n°2024-645 du 14 mars 2024 fixant les modalités d’organisation des élections législatives ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

EN LA FORME

1.Considérant que par requête en date du 15 avril 2024, reçue et enregistrée au greffe de la Haute Cour Constitutionnelle le 16 avril 2024, Madame Annick Zoary RATSIRAKA, Secrétaire Nationale du parti AREMA, résidant Villa Maintsoririnina lot II J 18 Mangarivotra Faravohitra Antananarivo, sollicite de la Haute Cour de céans l’annulation du décret n°2024-244 du 13 février 2024 fixant le montant de la contribution des candidats aux frais d’impression des bulletins de vote pour les élections législatives ainsi que leurs modalités de remboursement et de reversement ;

Qu’aux motifs de sa demande, la requérante expose :

«Sur la compétence de la Cour :

Attendu qu’il s’agit d’un décret fixant la contribution à l’impression des bulletins de vote à l’élection législative prévue le 29 mai 2024 ; qu’en tant que décret faisant partie des actes préliminaires aux élections législatives du 29 mai 2024 et, en outre, il s’agit d’une contestation se rapportant à un critère d’éligibilité aux élections, les dispositions de l’article 200 de la Constitution sont donc applicables au présent cas aux termes desquels : « La Haute Cour Constitutionnelle est compétente sur toute contestation relative (…) aux élections législatives (…) et les dispositions de l’article 48 de la loi n°2018-010 du 11 mai 2018  relative à l’élection des Députés à l‘Assemblée Nationale dispose que « La HCC est compétente pour connaître de toute requête ou contestation aux actes qui constituent les préliminaires des opérations électorales (…) ; qu’en application de ces dispositions, la Cour de céans est compétente pour en connaître.

Sur la recevabilité de la requête :

En tant que cheffe de parti légalement constitué et ayant beaucoup de candidatures refusées par la CENI et ses démembrements, j’ai l’intérêt de saisir votre haute juridiction par la présente requête.

Qu’il s’agit d’un litige relatif à une élection législative ;que le litige est relatif à une contestation se rapportant à un acte préliminaire à une élection donnée et que suivant l’attestation d’inscription n°3008-23/CENI/SE en date du 23 août 2023, je suis régulièrement inscrite sur la liste électorale nationale, en effet, je peux déférer devant la Cour de céans pour contrôle d’inconstitutionnalité le recours dirigé contre le décret présentement attaqué ; qu’ainsi la présente demande est donc recevable ;

Sur l’inconstitutionnalité du décret attaqué :

Par décret n°2024-244 du 13 février 2024, l’Etat Malagasy a posé comme l’une des conditions d’éligibilité à cette élection législative le paiement d’une caution de vingt millions (20 000 000) d’ariary comme contribution à l’impression des bulletins de vote à l’élection législative prévue le 29 mai 2024. Ce paiement d’Ar 20 000 000 fixe une discrimination par l’argent des candidats c’est-à-dire une discrimination fondée sur le critère économique et/ou sur la fortune des citoyens malagasy pour être éligible, alors que l’article 6 alinéa 2 de la Constitution de 2010 dispose que « Tous les individus sont égaux en droits et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans discrimination fondée sur (…) la fortune (…) et le dernier alinéa ajoute que : « L’Etat favorise l’égal accès (…) aux fonctions dans le domaine de la vie politique et économique et sociale » ; qu’en outre, l’article 15 de la Constitution dispose que :  « Tout citoyen a le droit de se porter candidat aux élections prévues par la présente constitution. ».

Que les dispositions du décret attaqué vont en contre sens des dispositions constitutionnelles précitées en ce qu’elles défavorisent la majorité de citoyens malagasy et les fonctionnaires à faibles revenus mais ayant de bonnes moralités et réputations sociales et politiques au sein d’une société donnée. Désormais, l’instauration des cautions en dizaines voire en centaines et/ou en des millions d’ariary n’est pas raisonnable et handicape notre intention d’être candidat à cette élection législative et rompt, en conséquence, l’égalité des citoyens aux fonctions dans le domaine de lavie politique prévue par la Constitution ; qu’il est constant et non contesté que les Agents publics et surtout la majorité de nos concitoyens vivent dans des conditions de vie misérable et n’ont pas, en conséquence, la faculté contributive de se porter candidat à une élection donnée dans le pays ; qu’il est fort probable que la quasi-totalité des fonctionnaires et des agents publics, les syndicalistes en particulier, et les citoyens malagasy à faibles revenus, en général sont, désormais, désavantagés et/ou même exclus des fonctions électives en tant qu’élu donc inéquitable.

Qu’en un mot, ce nouveau système de discrimination des candidats par l’argent divise les citoyens malagasy en deux catégories bien distinctes : les citoyens à faible revenu et en difficulté économique ceux qui n’ont désormais qu’un seul droit, droit limité d’être électeurs, et ne font que servir leurs compatriotes fortunés et aisés et ceux qui jouissent les deux droits à la fois, droit d’être électeur et éligible et cela pour les favorisés et bien fortunés ; discrimination réglementaire que les Constituants n’ont pas prévu ; que la fixation de la somme de vingt millions d’ariary dans les dispositions du décret 2024-244 desservit l’égalité des citoyens aux fonctions électives dans le domaine politique et rouvre une tendance vers le vote censitaire qui est déjà révolu mais en train de refaire surface ; et qu’il s’agit d’un moyen de mise en œuvre de droit d’éligibilité qui devrait être favorisé selon le terme usé par les Constituants et que le seul moyen de le restreindre n’est que les condamnations pénales ; que l’acte réglementaire ne peut donc les déroger comme tel se présente dans le cas présent ; qu’ainsi, le décret attaqué mérite annulation et par voie de conséquence, à extirper des textes régissant l’élection législative du 29 mai 2024 ;

Sur le motif/intitulé de l’acte basé sur la contribution à l’impression des bulletins de vote à l’élection législative : la Cour de céans, dans sa décision n°15 du 3 mai 2018 considérant 42 est explicite sur ce point : « que les élections sont un service public de l’Etat ; qu’en conséquence, l’impression des bulletins de vote unique devrait être pris en charge par les pouvoirs publics ; que si une contribution des candidats ou des listes des candidats est concevable, elle devrait être d’un montant raisonnable, ne constituant pas une discrimination par l’argent des candidats. » ; qu’en fixant la caution à cette élection législative à 20 000 000 Ar, ce montant est trop excessif aux yeux des observateurs avertis.

Qu’en outre et à titre de rappel, l’intervention d’un Haut dignitaire du régime sur la radio-télévisée de la place lors de la dernière élection présidentielle était très explicite : « l’instauration de caution de 200 000 000 Ar est faite dans le but d’éliminer les candidats farfelus ». Que cet esprit persiste au pouvoir réglementaire en fixant à 20 000 000 ariary la caution à cette élection législative. Le pouvoir réglementaire a instauré désormais une discrimination par l’argent des candidats dans toutes les catégories d’élections à venir à Madagascar ; esprit contraire à l’esprit de la Constitution de 2010 ; que c’est pourquoi, nous invoquons le détournement de pouvoir comme l’un des moyens invoqués dans la présente requête.

La fixation des cautions à Ar 200 000 000 et à Ar 20 000 000 par le pouvoir réglementaire tombe sous le coup du souci du juge constitutionnel de 2018 : la discrimination par l’argent des candidats.

Par ces motifs :

-Déclare que la Cour de céans est compétente et par conséquent, dire que la requête est recevable ;

-Déclarer le décret n°2024-244 du 13 février 2024 pris par l’Etat Malagasy comme contraire à la constitution et de l’extirper parmi les textes régissant l’élection législative du 29 mai 2024.

Pour requête respectueuse … » ; 

Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête

  1. Considérant que la loi organique n°2018-010 du 11 mai 2018 relative à l’élection des Députés à l’Assemblée Nationale dispose en son article 48 que « La Haute Cour Constitutionnelle est compétente pour connaitre de toute requête ou contestation se rapportant aux actes qui constituent les préliminaires des opérations électorales et à ceux qui ont trait au déroulement du scrutin »;

Que l’article 20 nouveau de la même loi énonce que « Les candidats sont tenus de verser une contribution aux frais d’impression des bulletins de vote à la Caisse des Dépôts et Consignations et dont le montant est fixé par un décret pris en Conseil de Gouvernement sur proposition de la Commission Electorale Nationale Indépendante. » ;

  1. Considérant qu’en application des dispositions de cet article 20 nouveau, le décret n°2024-244 pris le 13 février 2024 a fixé le montant de la contribution à vingt millions (20.000.000) d’ariary ; que ledit décret contenant des mesures conditionnant la recevabilité des candidatures aux élections législatives prévues le 29 mai 2024 rentre dans la catégorie d’actes qui constituent les préliminaires aux élections au sens des dispositions de la loi sus-rappelées ;

Qu’il appartient par la suite à la Cour de céans de connaître des litiges qui en résultent ;

  1. Considérant que la requérante, outre sa qualité de Secrétaire nationale du parti « Arema », est un citoyen ayant le droit de se porter candidat aux élections législatives au sens de l’article 15 de la Constitution et inscrite sur la liste électorale, justifie de la qualité et de l’intérêt à ce que le décret querellé soit annulé ; qu’ainsi, elle est recevable à saisir la Haute Cour de céans ;

Sur la constitutionnalité du décret attaqué

  1. Considérant que la requérante, pour justifier l’annulation du décret présentement déféré, invoque les dispositions des articles 6 et 15 de la Constitution ;
  2. Considérant qu’aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 6 de la Constitution : « Tous les individus sont égaux en droit et jouissent des mêmes libertés fondamentales protégées par la loi sans discrimination fondée sur le sexe, le degré d’instruction, la fortune, l’origine, la croyance religieuse ou l’opinion.

La loi favorise l’égal accès et la participation des femmes et des hommes aux emplois publics et aux fonctions dans le domaine de la vie politique, économique et sociale. » ;

Que l’article 15 de la loi fondamentale dispose que : « Tout citoyen a le droit de se porter candidat aux élections prévues par la présente Constitution, sous réserve des conditions fixées par la loi » ;

Que de ces dispositions, il est fait interdiction aux pouvoirs législatif et exécutif d’édicter des mesures différentes dans des situations identiques ; que cependant, ni ce principe, ni aucune autre règle constitutionnelle ne fait obstacle à ce que ces pouvoirs puissent prendre des mesures exigées par la nécessité du service public à la seule condition que celles-ci ne présentent pas un caractère excessif ou disproportionné ;

  1. Considérant que conformément à l’invitation à lui faite par le législateur, le Gouvernement, pour le bon fonctionnement du service public électoral consistant en l’organisation des législatives qui se tiendront le 29 mai 2024, a, par voie de décret, fixé à vingt millions (20 000 000) d’ariary le montant de la contribution des candidats ou des listes de candidats pour l’impression des bulletins de vote uniques ;

8.Considérant que compte tenu du fait que la Haute Cour de céans ne possédant pas le pouvoir identique à celui dont disposent la CENI et le Gouvernement dans l’appréciation du montant de la contribution que les candidats ou les listes de candidats doivent payer, il n’y a lieu pour elle que de s’assurer que ces autorités ne commettent pas une erreur manifeste d’appréciation ;

Qu’eu égard aux circonstances dans lesquelles l’acte incriminé a été pris et aux pièces produites, aucune erreur manifeste d’appréciation n’a été commise par le Gouvernement ; qu’aucune rupture caractérisée d’égalité n’a été, par voie de conséquence, engendrée ;

  1. Considérant que de tout ce qui précède, la requête n’est pas fondée et doit être rejetée ;

PAR CES MOTIFS
A R R E T E

Article premier. – La requête formulée par Madame Annick Zoary RATSIRAKA tendant à l’annulation du décret n°2024-244 du 13 février 2024 est recevable.

Article 2.-Ladite requête, non fondée, est rejetée.

Article 3.-Le présent arrêt sera notifié à la requérante, au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, au Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante, publié sur le site internet de la Haute Cour Constitutionnelle et au journal officiel de la République.

Ainsi délibéré en audience privée tenue à Antananarivo, le jeudi vingt-trois mai l’an deux mille vingt-quatre à dix heures, la Haute Cour Constitutionnelle étant composée de :

Monsieur FLORENT Rakotoarisoa, Président
Monsieur NOELSON William, Haut Conseiller – Doyen
Madame RATOVONELINJAFY RAZANOARISOA Germaine Bakoly, Haut Conseiller
Madame RAKOTOBE ANDRIAMAROJAONA Vololoniriana Christiane, Haut Conseiller
Monsieur MBALO Ranaivo Fidèle, Haut Conseiller
Monsieur RASOLO Nandrasana Georges Merlin, Haut Conseiller
Madame RAZANADRAINIARISON RAHELIMANANTSOA RondroLucette,Haut Conseiller
Madame ANDRIAMAHOLY RANAIVOSON Rojoniaina, Haut Conseiller

Et assistée de Maître RALISON Samuel Andriamorasoa, Greffier en Chef.